Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J'ai reçu un télégramme de l'asile : « Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués. » Cela ne veut rien dire. C'était peut-être hier.
J’ai pensé que c’était toujours un dimanche de tiré, que maman était maintenant enterrée, que j’allais reprendre mon travail et que, somme toute, il n’y avait rien de changé.
C'est alors que tout a vacillé. [...] Tout mon être s'est tendu et j'ai crispé ma main sur le revolver. La gâchette a cédé, j'ai touché le ventre poli de la crosse et c'est là, dans le bruit à la fois sec et assourdissant que tout a commencé. J'ai secoué la sueur et le soleil. J'ai compris que j'avais détruit l'équilibre du jour, le silence exceptionnel d'une plage où j'avais été heureux. Alors, j'ai tiré encore quatre fois sur un corps inerte où les balles s'enfonçaient sans qu'il y parût. Et c'était comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte du malheur.
Que m'importaient la mort des autres, l'amour d'une mère, que m'importaient son Dieu, les vies qu'on choisit, les destins qu'on élit, puisqu'un seul destin devait m'élire moi-même et avec moi des milliards de privilégiés qui, comme lui, se disaient mes frères.
Le jeune Scipion : Tous les hommes ont une douceur dans la vie. Cela les aide à continuer. C'est vers elle qu'ils se retournent quand ils se sentent trop usés.
Cherea : J'ai le goût et le besoin de la sécurité. La plupart des hommes sont comme moi. Ils sont incapables de vivre dans un univers où la pensée la plus bizarre peut en une seconde entrer dans la réalité — où, la plupart du temps, elle y entre, comme un couteau dans un cœur.
Caligula : On croit qu'un homme souffre parce que l'être qu'il aime meurt en un jour. Mais sa vraie souffrance est moins futile : c'est de s'apercevoir que le chagrin non plus ne dure pas. Même la douleur est privée de sens.
Caligula : Oui. Enfin ! Mais je ne suis pas fou et même je n’ai jamais été raisonnable. Simplement, je me suis senti tout d’un coup un besoin d’impossible. (Un temps.) Les choses, telles qu’elles sont, ne me semblent pas satisfaisantes.
Comment faire imaginer, par exemple, une ville sans pigeons, sans arbres et sans jardins, où l'on ne rencontre ni battements d'ailes ni froissements de feuilles, un lieu neutre pour tout dire? Le changement des saisons ne s'y lit que dans le ciel. Le printemps s'annonce seulement par la qualité de l'air ou par les corbeilles de fleurs que des petits vendeurs ramènent des banlieues ; c'est un printemps qu'on vend sur les marchés.
La Peste (1947), Albert Camus, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1994 (ISBN2-07-036042-3), partie I, p. 11
Une manière commode de faire la connaissance d'une ville est de chercher comment on y travaille, comment on y aime et comment on y meurt.
La Peste (1947), Albert Camus, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1994 (ISBN2-07-036042-3), partie I, p. 11
À Oran comme ailleurs, faute de temps et de réflexion, on est bien obligé de s'aimer sans le savoir.
La Peste (1947), Albert Camus, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1994 (ISBN2-07-036042-3), partie I, p. 12
La presse, si bavarde dans l'affaire des rats, ne parlait plus de rien. C'est que les rats meurent dans la rue et les hommes dans leur chambre. Et les journaux ne s'occupent que de la rue.
La Peste (1947), Albert Camus, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1994 (ISBN2-07-036042-3), partie I, p. 39
La bêtise insiste toujours, on s’en apercevrait si l’on ne pensait pas toujours à soi. Nos concitoyens à cet égard étaient comme tout le monde, ils pensaient à eux-mêmes, autrement dit ils étaient humanistes : ils ne croyaient pas aux fléaux. Le fléau n’est pas à la mesure de l’homme, on se dit donc que le fléau est irréel, c’est un mauvais rêve qui va passer. Mais il ne passe pas toujours et, de mauvais rêve en mauvais rêve, ce sont les hommes qui passent, et les humanistes en premier lieu, parce qu’ils n’ont pas pris leurs précautions. […] Ils continuaient de faire des affaires, ils préparaient des voyages et ils avaient des opinions. Comment auraient-ils pensé à la peste qui supprime l’avenir, les déplacements et les discussions ? Ils se croyaient libres et personne ne sera jamais libre tant qu’il y aura des fléaux.
La Peste (1947), Albert Camus, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1994 (ISBN2-07-036042-3), partie I, p. 41-42
Le reste de l'histoire, selon Grand, était très simple. Il en est ainsi pour tout le monde : on se marie, on aime encore un peu, on travaille. On travaille tant qu'on en oublie d'aimer.
La Peste (1947), Albert Camus, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1974 (ISBN2-07-021203-3), partie II, p. 97
On se fatigue de la pitié quand la pitié est inutile.
La Peste (1947), Albert Camus, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1974 (ISBN2-07-021203-3), partie II, p. 106
Le mal qui est dans le monde vient presque toujours de l'ignorance, et la bonne volonté peut faire autant de dégâts que la méchanceté, si elle n'est pas éclairée.
La Peste (1947), Albert Camus, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1994 (ISBN2-07-036042-3), partie II, p. 124
Oui, on dont à cette heure-là et cela est rassurant puisque le grand désir d'un cœur inquiet est de posséder interminablement l'être qu'il aime ou de pouvoir plonger cet être...
La Peste (1947), Albert Camus, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1974 (ISBN2-07-021203-3), partie II, p. 125-126
[…], le vice le plus désespérant [est] celui de l'ignorance qui croit tout savoir et qui s'autorise alors à tuer.
La Peste (1947), Albert Camus, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1994 (ISBN2-07-036042-3), partie II, p. 124
[…] il vient toujours une heure dans l'histoire où celui qui ose dire que deux et deux font quatre est puni de mort.
La Peste (1947), Albert Camus, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1994 (ISBN2-07-036042-3), partie II, p. 125
Beaucoup de nouveaux moralistes dans notre ville allaient alors, disant que rien ne servait à rien et qu'il fallait se mettre à genoux. Et Tarrou, et Rieux, et leurs amis pouvaient répondre ceci ou cela, mais la conclusion était toujours ce qu'ils savaient : il fallait lutter de telle ou telle façon et ne pas se mettre à genoux. Toute la question était d'empêcher le plus d'hommes possible de mourir et de connaître la séparation définitive. Il n'y avait pour cela qu'un seul moyen qui était de combattre la peste. Cette vérité n'était pas admirable, elle n'était que conséquence.
La Peste (1947), Albert Camus, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1994 (ISBN2-07-036042-3), partie II, p. 125-126
Dans tous les cas, à supposer qu'on veuille avoir une idée juste de l'état d'esprit où se trouvaient les séparés de notre ville, il faudrait de nouveau évoquer ces éternels soirs dorés et poussiéreux, qui tombaient sur la cité sans arbres, pendant qu'hommes et femmes se déversaient dans toutes les rues. Car, étrangement, ce qui montait alors vers les terrasses encore ensoleillées, en l'absence des bruits de véhicules et de machines qui font d'ordinaire tout le langage des villes, ce n'était qu'une énorme rumeur de pas et de voix sourdes, le douloureux glissement de milliers de semelles rythmé par le sifflement du fléau dans le ciel alourdi, un piétinement interminable et étouffant enfin, qui remplissait peu à peu toute la ville et qui, soir après soir, donnait sa voix la plus fidèle et la plus morne à l'obstination aveugle qui, dans nos cœurs, remplaçait alors l'amour.
La Peste (1947), Albert Camus, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1994 (ISBN2-07-036042-3), partie III, p. 125-126
Je suis content de le savoir meilleur que son prêche.
Tout le monde est comme ça, dit Tarrou. Il faut seulement leur donner l'occasion.
La Peste (1947), Albert Camus, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1974 (ISBN2-07-021203-3), partie II, p. 167
[…] il peut y avoir de la honte à être heureux tout seul.
La Peste (1947), Albert Camus, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1994 (ISBN2-07-036042-3), partie IV, p. 190
Il ne s'agissait pas de refuser les précautions, l'ordre intelligent qu'une société introduisait dans le désordre d'un fléau. Il ne fallait pas écouter ces moralistes qui disaient qu'il fallait se mettre à genoux et tout abandonner. Il fallait seulement commencer de marcher en avant, dans la ténèbre, un peu à l'aveuglette, et essayer de faire du bien. Mais pour le reste, il fallait demeurer, et accepter de s'en remettre à Dieu, même pour la mort des enfants, et sans chercher de recours personnel.
La Peste (1947), Albert Camus, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1994 (ISBN2-07-036042-3), partie IV, p. 206
A mon âge, on est forcément sincère. Mentir est trop fatigant.
La Peste (1947), Albert Camus, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1974 (ISBN2-07-021203-3), partie IV, p. 225
Rieux lui prit le bras, mais Tarrou, le regard détourné, ne réagissait plus. Et soudain, la fièvre reflua visiblement jusqu'à son front comme si elle avait crevé quelque digue intérieure. Quand le regard de Tarrou revint vers le docteur, celui-ci l'encourageait de son visage tendu. Le sourire que Tarrou essaya encore de former ne put passer au-delà des maxillaires serrés et des lèvres cimentées par une écume blanchâtre. Mais, dans la face durcie, les yeux brillèrent encore de tout l'éclat du courage.
La Peste (1947), Albert Camus, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1994 (ISBN2-07-036042-3), partie V, p. 260
Il tenait le milieu, voilà tout, et c'est le type d'homme pour lequel on se sent une affection raisonnable, celle qui fait qu'on continue.
La Peste (1947), Albert Camus, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1974 (ISBN2-07-021203-3), partie IV, p. 267
Écoutant, en effet, les cris d'allégresse qui montaient de la ville, Rieux se souvenait que cette allégresse était toujours menacée. Car il savait ce que cette foule en joie ignorait, et qu'on peut lire dans les livres, que le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais, qu'il peut rester pendant des dizaines d'années endormi dans les meubles et le linge, qu'il attend patiemment dans les chambres, les caves, les malles, les mouchoirs et les paperasses, et que, peut-être, le jour viendrait où, pour le malheur et l'enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse.
Explicit du roman.
La Peste (1947), Albert Camus, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1994 (ISBN2-07-036042-3), partie V, p. 279
Il savait ce que sa mère pensait et qu'elle l'aimait en ce moment. Mais il savait aussi que ce n'est pas grand-chose que d'aimer un être ou du moins qu'un amour n'est jamais assez fort pour trouver sa propre expression.
La Peste (1947), Albert Camus, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1974 (ISBN2-07-021203-3), partie V, p. 312-313
...qu'il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser.
La Peste (1947), Albert Camus, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1974 (ISBN2-07-021203-3), partie V, p. 331
La liberté est un bagne aussi longtemps qu'un seul homme est asservi sur la terre.
Les Justes, Albert Camus, éd. Gallimard, 1950 (ISBN2-07-036477-1), p. 17
Il dit que la poésie est révolutionnaire.
Les Justes, Albert Camus, éd. Gallimard, 1950 (ISBN2-07-036477-1), p. 21
Tout le monde ment. Bien mentir, voilà ce qu'il faut.
Les Justes, Albert Camus, éd. Gallimard, 1950 (ISBN2-07-036477-1), p. 24
Chacun sert la justice comme il peut. Il faut accepter que nous soyons différents. Il faut nous aimer, si nous le pouvons.
Les Justes, Albert Camus, éd. Gallimard, 1950 (ISBN2-07-036477-1), p. 34
Et si l'humanité entière rejette la révolution ? Et si le peuple entier, pour qui tu luttes, refuse que ses enfants soient tués ? Faudra-t-il le frapper aussi ?
Les Justes, Albert Camus, éd. Gallimard, 1950 (ISBN2-07-036477-1), p. 59
Alors choisissez la charité et guérissez seulement le mal de chaque jour, non la révolution qui veut guérir tous les maux, présents et à venir.
Les Justes, Albert Camus, éd. Gallimard, 1950 (ISBN2-07-036477-1), p. 62
Même dans la destruction, il y a un ordre, il y a des limites.
Les Justes, Albert Camus, éd. Gallimard, 1950 (ISBN2-07-036477-1), p. 62
Les hommes ne vivent pas que de justice.
Les Justes, Albert Camus, éd. Gallimard, 1950 (ISBN2-07-036477-1), p. 64
L'honneur est un luxe réservé à ceux qui ont des calèches. — Non. Il est la dernière richesse du pauvre.
Les Justes, Albert Camus, éd. Gallimard, 1950 (ISBN2-07-036477-1), p. 65
Mais non, c'est l'éternel hiver. Nous ne sommes pas de ce monde, nous sommes des justes. Il y a une chaleur qui n'est pas pour nous. Ah ! pitié pour les justes !
Les Justes, Albert Camus, éd. Gallimard, 1950 (ISBN2-07-036477-1), p. 88
Pour nous qui ne croyons pas à Dieu, il faut toute la justice ou c'est le désespoir.
Les Justes, Albert Camus, éd. Gallimard, 1950 (ISBN2-07-036477-1), p. 90
On commence par vouloir la justice et on finit par organiser une police.
Les Justes, Albert Camus, éd. Gallimard, 1950 (ISBN2-07-036477-1), p. 107
J'ai lancé la bombe sur votre tyrannie, non sur un homme. — Sans doute. Mais c'est l'homme qui l'a reçue.
Les Justes, Albert Camus, éd. Gallimard, 1950 (ISBN2-07-036477-1), p. 109
Si la seule solution est la mort, nous ne sommes pas sur la bonne voie. La bonne voie est celle qui mène à la vie, au soleil. On ne peut avoir froid sans cesse.
Les Justes, Albert Camus, éd. Gallimard, 1950 (ISBN2-07-036477-1), p. 135
Marche ! Nous voilà condamnés à être plus grands que nous-mêmes. Les êtres, les visages, voilà ce qu'on voudrait aimer. L'amour plutôt que la justice !
Les Justes, Albert Camus, éd. Gallimard, 1950 (ISBN2-07-036477-1), p. 139
Le bonheur ? — Sentir la main d'un homme avant de mourir.
Les Justes, Albert Camus, éd. Gallimard, 1950 (ISBN2-07-036477-1), p. 90
Mais les camps d’esclaves sous la bannière de la liberté, les massacres justifiés par l’amour de l’homme ou le goût de la surhumanité, désemparent, en un sens, le jugement. Le jour où le crime se pare des dépouilles de l'innocence, par un curieux renversement qui est propre à notre temps, c'est l'innocence qui est sommée de fournir ses justifications.
(fr)L'Homme révolté, Albert Camus, éd. Gallimard, 1951, p. 13
Toute valeur n'entraîne pas la révolte, mais tout mouvement de révolte invoque tacitement une valeur.
(fr)L'Homme révolté (1951), Albert Camus, éd. Gallimard, coll. « nrf », 1951, partie 1 L'Homme révolté, p. 22
L'intelligence dans les chaînes perd en lucidité ce qu'elle gagne en fureur.
(fr)L'Homme révolté (1951), Albert Camus, éd. Gallimard, coll. « Folio/Essais », 1985 (ISBN978-2-07-032302-9), partie 2 La révolte métaphysique, chap. La négation absolue, p. 57
[Marx a] pu mêler dans sa doctrine la méthode critique la plus valable et le messianisme utopique le plus contestable.
(fr)L'Homme révolté, Albert Camus, éd. Gallimard, 1951 (ISBN9782070323029), p. 239
Le monde romanesque n'est que la correction de ce monde-ci, suivant le désir profond de l'homme. Car il s'agit bien du même monde. La souffrance
est la même, le mensonge et l'amour. Les héros ont notre langage, nos faiblesses, nos forces. Leur univers n'est ni plus beau ni plus édifiant que le nôtre. Mais eux, du moins, courent jusqu'au bout de leur destin et il n'est même jamais de si bouleversants héros que ceux qui vont jusqu'à l'extrémité de leur passion.
(fr)L'Homme révolté, Albert Camus, éd. Gallimard, 1951, p. 250
La vraie générosité envers l'avenir consiste à tout donner au présent.
(fr)L'Homme révolté, Albert Camus, éd. Gallimard, 1951, p. 289
Il s'agit du manuscrit sur lequel travaillait Albert Camus au moment de sa mort, il a été retrouvé dans sa sacoche, le 4 janvier 1960, dactylographié une première fois par Francine Camus, puis retravaillé avec l'aide d'Odette Diagne Créach, Roger Grenier, Robert Gallimard et surtout Catherine Camus qui a fait publier l'ouvrage en 1994.
En vérité, Joséphin était assez près de ses sous, au contraire d'Ernest qui, selon la grand-mère, avait "le cœur sur la main". (Il est vrai que, lorsqu'elle était furieuse contre lui, elle l'accusait au contraire d'avoir la main "trouée".) Mais, outre la différence des natures, il y avait le fait que Joséphin gagnait plus d'argent qu'Étienne et que la prodigalité est toujours plus facile dans le dénuement. Rares sont ceux qui continuent d'être prodigues après en avoir acquis les moyens. Ceux-là sont les rois de la vie, qu'il faut saluer bas.
...lui comme une lame solitaire et toujours vibrante destinée à être brisée d'un coup et à jamais, une pure passion de vivre affrontée à une mort totale, sentait aujourd'hui la vie, la jeunesse, les êtres lui échapper, sans pouvoir les sauver en rien, et abandonné seulement à l'espoir aveugle que cette force obscure qui pendant tant d'années l'avait soulevé au-dessus des jours, nourri sans mesure, égale aux plus dures des circonstances, lui fournirait aussi, et de la même générosité inlassable qu'elle lui avait donné ses raisons de vivre, des raisons de vieillir et de mourir sans révolte.
Le premier homme, Albert Camus, éd. Gallimard, 1994 (ISBN2-07-073827-2), p. 261
Personne ne peut imaginer le mal dont j'ai souffert... On honore les hommes qui ont fait de grandes choses. Mais on devrait faire plus encore pour certains qui, malgré ce qu'ils étaient, ont su se retenir de commettre les plus grands forfaits. Oui, honorez-moi.
Le premier homme, Albert Camus, éd. Gallimard, 1994 (ISBN2-07-073827-2), p. 283
Et ce qu'il désirait le plus au monde, qui était que sa mère lut tout ce qui était sa vie et sa chair, cela était impossible. Son amour, son seul amour serait à jamais muet.
Dans « Annexes ».
Le premier homme, Albert Camus, éd. Gallimard, 1994 (ISBN2-07-073827-2), p. 292
Maman : comme un Muichkine ignorant. Elle ne connaît pas la vie du Christ, sinon sur la croix. Et qui pourtant en est plus près ?
Dans « Annexes ».
Le premier homme, Albert Camus, éd. Gallimard, 1994 (ISBN2-07-073827-2), p. 295
Commencer la dernière partie par cette image :
l'âne aveugle qui patiemment pendant des années tourne autour de la noria, endurant les coups, la nature féroce, le soleil, les mouches, endurant encore, et de cette lente avancée en rond, apparemment stérile, monotone, douloureuse, les eaux jaillissent inlassablement...
Dans « Annexes ».
Le premier homme, Albert Camus, éd. Gallimard, 1994 (ISBN2-07-073827-2), p. 316
La noblesse du métier d'écrivain est dans la résistance à l'oppression, donc au consentement à la solitude.
Dans « Annexes ».
Le premier homme, Albert Camus, éd. Gallimard, 1994 (ISBN2-07-073827-2), p. 322
Je sais les prestiges et le pouvoir sournois de ce pays [l'Algérie], la façon insinuante dont il retient ceux qui s'y attardent, dont il les immobilise, les prive d'abord de questions et les endort pour finir dans la vie de tous les jours. La révélation de cette lumière, si éclatante, qu'elle en devient noire et blanche, a d'abord quelque chose de suffocant. On s'y abandonne, on s'y fixe et on s'aperçoit que cette trop longue splendeur ne donne rien à l'âme et qu'elle n'est qu'une jouissance démesurée.
Heureusement, il y a la genièvre, la seule lueur dans ces ténèbres.
La Chute (1956), Albert Camus, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1997 (ISBN2-07-036010-5), p. 16
La vérité est que tout homme intelligent, vous le savez bien, rêve d'être un gangster et de régner sur la société par la seule violence. Comme ce n'est pas aussi facile que peut le faire croire la lecture des romans spécialisés, on s'en remet généralement à la politique et l'on court au parti le plus cruel.
La Chute (1956), Albert Camus, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1997 (ISBN2-07-036010-5), p. 60
L'homme est ainsi, cher monsieur, il a deux faces : il ne peut pas aimer sans s'aimer.
La Chute (1956), Albert Camus, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1997 (ISBN2-07-036010-5), p. 38
Les martyrs, cher ami, doivent choisir d’êtres oubliés, raillés ou utilisés. Quant à être compris, jamais.
La Chute (1956), Albert Camus, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1997 (ISBN2-07-036010-5), p. 81
Vous parliez du Jugement dernier. Permettez-moi d'en rire respectueusement. Je l'attends de pied ferme : j'ai connu ce qu'il y a de pire, qui est le jugement des hommes. Pour eux, pas de circonstances atténuantes, même la bonne intention est imputée à crime.
La Chute (1956), Albert Camus, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1997 (ISBN2-07-036010-5), p. 116-117
N'attendez pas le Jugement dernier. Il a lieu tous les jours.
La Chute (1956), Albert Camus, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1997 (ISBN2-07-036010-5), p. 118
Avouez cependant que vous vous sentez, aujourd'hui, moins content de vous-même que vous ne l'étiez il y a cinq jours ? J'attendrai maintenant que vous m'écriviez ou que vous reveniez. Car vous reviendrez, j'en suis sûr ! Vous me trouverez inchangé. Et pourquoi changerais-je puisque j'ai trouvé le bonheur qui me convient ?
La Chute (1956), Albert Camus, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1997 (ISBN2-07-036010-5), p. 147
Sur une philosophie de l’expression, compte rendu de l’ouvrage de Brice Parain, Recherches sur la nature et la fonction du langage, Albert Camus, 1944
Mal nommer un objet, c'est ajouter au malheur de ce monde.
Sur une philosophie de l’expression, compte rendu de l’ouvrage de Brice Parain, Recherches sur la nature et la fonction du langage. (-), Albert Camus, éd. Gallimard, coll. « coll. « Poésie 44, n° 17 » », 1944 (ISBN -[à vérifier : ISBN invalide]), p. 22
Les vrais artistes ne méprisent rien ; ils s'obligent à comprendre au lieu de juger.
Albert Camus, 10 décembre 1957, à Stockholm, dans NobelPrize.org, paru 10 décembre 1957.
Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu'elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse.
Albert Camus, 10 décembre 1957, à Stockholm, dans NobelPrize.org, paru 10 décembre 1957.
Le train du monde m'accable en ce moment. À longue échéance, tous les continents (jaune, noir et bistre) basculeront sur la vieille Europe. Ils sont des centaines et des centaines de millions. Ils ont faim et ils n'ont pas peur de mourir. Nous, nous ne savons plus ni mourir, ni tuer. Il faudrait prêcher, mais l'Europe ne croit à rien. Alors, il faut attendre l'an mille ou un miracle. Pour moi, je trouve de plus en plus dur de vivre devant un mur.
« Lettre à Jean Grenier » (28 juillet 1958), dans Correspondance Camus-Grenier 1923-1960, Albert Camus, éd. Gallimard, coll. « NRF », 1981 (ISBN9782070231751), p. 220
Oui, j'ai une patrie : la langue française.
Carnets II, janvier 1942-mars 1951, Albert Camus, éd. Gallimard, 1964, p. 337
Toute société est basée sur l'aristocratie, car celle-ci, la vraie, est exigence à l'égard de soi-même et sans cette exigence toute société meurt.
Carnets III, mars 1951 - décembre 1959, Albert Camus, éd. Gallimard, 2013, p. 157
Ceux qui ont vraiment quelque chose à dire, ils n'en parlent jamais.
Carnets III, mars 1951 - décembre 1959, Albert Camus, éd. Gallimard, 1989, p. 217
Je ne peux pas vivre longtemps avec les êtres. Il me faut un peu de solitude, la part d'éternité.
Carnets III, mars 1951 - décembre 1959, Albert Camus, éd. Gallimard, 1989, p. 275
La démocratie ce n’est pas la loi de la majorité mais la protection de la minorité.
Carnets III, mars 1951 - décembre 1959, Albert Camus, éd. Gallimard, 1962, p. 260
C'est peu de chose que de savoir courir au feu quand on s'y prépare depuis toujours et quand la course vous est plus naturelle que la pensée. C'est beaucoup au contraire que d'avancer vers la torture et vers la mort, quand on sait de science certaine que la haine et la violence sont choses vaines par elles-mêmes. C'est beaucoup que de se battre en méprisant la guerre, d'accepter de tout perdre en gardant le goût du bonheur [...].
Lettres à un ami allemand, Albert Camus, éd. Gallimard, 1948, renouvelé en 1972, p. 24
C'est déjà beaucoup de savoir qu'à énergie égale, la vérité l'emporte sur le mensonge.
Lettres à un ami allemand, Albert Camus, éd. Gallimard, 1948, renouvelé en 1972, p. 30
Les mots prennent toujours la couleur des actions ou des sacrifices qu'ils suscitent.
Lettres à un ami allemand, Albert Camus, éd. Gallimard, 1948, renouvelé en 1972, p. 53
Je continue à croire que ce monde n'a pas de sens supérieur. Mais je sais que quelque chose en lui a du sens et c'est l'homme, parce qu'il est le seul être à exiger d'en avoir.
Lettres à un ami allemand, Albert Camus, éd. Gallimard, 1948, renouvelé en 1972, p. 71
Le goût de la vérité n'empêche pas la prise de parti.
Camus à "Combat", Albert Camus, éd. Gallimard, 2002, p. 181
La justice, c'est de juger les hommes sur eux-mêmes et non sur leur nom ou leurs idées.
Camus à "Combat", Albert Camus, éd. Gallimard, 2002, p. 183
Les doctrines, comme les nations et les individus, ne meurent qu'en refusant de s'engager.
Camus à "Combat", Albert Camus, éd. Gallimard, 2002, p. 192
Il n'y a ni justice ni liberté possibles lorsque l'argent est toujours roi.
Camus à "Combat", Albert Camus, éd. Gallimard, 2002, p. 280
Une société basée sur l'argent ne peut prétendre à la grandeur ou à la justice.
Camus à "Combat", Albert Camus, éd. Gallimard, 2002, p. 336
Notre monde, demain, sera ce que nous voudrons qu'il soit. Mais il faut le vouloir durement et longtemps.
Camus à "Combat", Albert Camus, éd. Gallimard, 2002, p. 187
Le démocrate, après tout, est celui qui admet qu'un adversaire peut avoir raison, qui le laisse donc s'exprimer et qui accepte de réfléchir à ses arguments. Quand des partis ou des hommes se trouvent assez persuadés de leurs raisons pour accepter de fermer la bouche de leurs contradicteurs par la violence, alors la démocratie n'est plus.
Camus à "Combat", Albert Camus, éd. Gallimard, 2002, p. 665
La civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif ou l'utilisation intelligente des conquêtes scientifiques.
Albert Camus, 8 août 1945, Éditorial, dans Combat, paru 8 août 1945.
Ce que je sais de la morale, c'est au football que je le dois.
Les Secrets Douloureux Que Nous Cachent Les Dieux, Jean-Paul Taddeï, éd. L'Harmattan, 2002 (ISBN274751790X), p. 77
Preuve admirable de la puissance de sa religion : il arrive à la charité sans passer par la générosité. Il a tort de me renvoyer sans cesse à l'angoisse du Christ. Il me semble que j'en ai un plus grand respect que lui, ne m'étant jamais cru autorisé à exposer le supplice de mon sauveur, deux fois par semaine, à la première page d'un journal de banquiers…
Les Carnets : des notes de travail au journal intime, Roger Grenier, éd. Magazine Littéraire numero 276, 1990, p. 28
L'Afrique commence aux Pyrénées.
Albert Camus, décembre 1959, Revue littéraire Oranaise "Simoun", dans Albert Camus, dans le premier silence et au-delà, paru J. Goemaere, 1985, p.19, Paul F. Smets.
Si la thèse de l'abandon [de l'Algérie] triomphait, les conséquences seraient terribles pour les Arabes comme pour les Français. C'est le dernier avertissement d'un écrivain voué depuis vingt ans au service de l'Algérie.
À propos de l'Algérie
Nouvelles Paroles d'un revenant, Jacques d'Arnoux, éd. Nouvelles Éditions Latines, 1965, p. 113
Le bien-être du peuple en particulier a toujours été l'alibi des tyrans, et il offre de plus l'avantage de donner bonne conscience aux domestiques de la tyrannie.
Hommage à un journaliste exilé, Albert Camus, éd. La Révolution Prolétarienne, numéro 422, 1957, p. 2-218 (lire en ligne)
“Quant au fait que les animaux seraient trop bêtes et trop stupides pour se faire entendre eux-mêmes, considérez l'enchaînement d'événements suivant. Quand Albert Camus était jeune garçon en Algérie, sa grand-mère lui demanda de lui amener l'une des poules du poulailler. Il obéit, puis il la regarda couper la tête de la volaille avec un couteau de cuisine, recueillant son sang dans un bol pour ne pas souiller le sol.
Le cri de mort de cette poule s'imprima si vivement dans la mémoire du garçon qu'en 1958 il rédigea une attaque passionnée contre la guillotine. C'est en partie suite à cette polémique que la peine capitale fut abolie en France. Qui oserait affirmer que la poule n'a pas parlé ?”
Elizabeth Costello, J. M. Coetzee (trad. Catherine Lauga du Plessis), éd. Le Seuil, coll. « Points n°1454 », 2004 (ISBN978-2-02-086477-0), p. 150
(...) je l’appelle le « porte-silence des taiseux ». Les Français pauvres d’Algérie auxquels Camus appartient par sa naissance se caractérisent [dans ses récits] par leur peu de mots, dû à la fois à un manque de vocabulaire (voire, dans le cas de sa famille, à des problèmes d’élocution) et à une pudeur et une fierté frappantes. Camus a été le porte-voix de ces gens, en respectant leur relative absence au langage dans ses écrits. Il donne à voir un quotidien humble en dépeignant tout ce qui se passe en-deçà et par-delà le langage. (...)
L’interview dont est extraite cette citation est publiée dans le supplément littéraire hebdomadaire du quotidien Le Monde, daté du vendredi 8 novembre mais paru le jeudi 7 novembre 2013, soit pour le centenaire exact de la naissance de l'écrivain, et un mois après la parution aux Classiques Garnier d’un essai d’Ève Morisi, titré Albert Camus : le souci des autres (ISBN978-2-8124-1750-4). Ève Morisi avait précédemment réuni, en 2011, chez Gallimard (ISBN978-2-07-013554-7) sous le titre Albert Camus contre la peine de mort, les écrits abolitionnistes d’Albert Camus, précédés d’une préface de Robert Badinter et suivis d’un essai de la directrice d’ouvrage, titré La Peine de mort dans les romans de Camus : motif, mythe, éthique.
(fr) « Le “porte-silence des taiseux” », Macha Séry (journaliste) et Ève Morisi, Le Monde des livres, nº 21401, 8 novembre 2013, p. 6