L’histoire est à la fois l’étude des faits, des événements du passé et, par synecdoque, l’ensemble de ces faits, de ces événements.
Il y a deux Histoires : l’Histoire officielle, menteuse, qu’on enseigne, l’Histoire ad usum delphini ; puis l’Histoire secrète, où sont les véritables causes des événements, une histoire honteuse.
Illusions perdues (1837-1843),
Honoré de Balzac, éd. Garnier-Flammarion, 1966, p. 590
Il est deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l'histoire de France, ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims ; ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération.
L'étrange défaite (1940), Marc Bloch, éd. Gallimard, coll. « Folio Histoire », 1990, p. 198
L’histoire est intelligible, mais elle est incompréhensible. Elle se déroule mais ne s’explique pas, elle est inexorable et mystérieuse.
Les vainqueurs sont ceux qui écrivent l'Histoire. C'est celle-là qui est rédigée dans nos livres d'école, pas la vraie Histoire telle qu'elle s'est déroulée, mais une Histoire qui caresse le camp des gagnants. L'Histoire a cessé, depuis longtemps d'être la somme des humanités ; aujourd'hui elle n'appartient qu'à une poignée d'individus.
Mais nous avons retardé trop longtemps l'argument principal à seule fin de montrer que le grand rêve démocratique, tout comme le grand rêve médiéval, a été, au sens strict et pratique, un rêve non réalisé. Quoi qu'il advienne de l'Angleterre contemporaine, ce ne sera pas dû au fait que nous aurons pratiqué trop au pied de la lettre ou atteint la complétude décevante du catholicisme de Becket ou l'égalité de Marat. J'ai choisi ces deux exemples pour la simple raison qu'ils sont typiques de milliers d'autres exemples. Le monde regorge de ces idéaux non réalisés, de ces temples inachevés. L'Histoire n'est pas faite d'édifices inachevés. L'histoire n'est pas faite d'édifices achevés et de ruines mal en point ; elle est faite de villas à moitié bâties, abandonnées par un constructeur en faillite. Ce monde ressemble davantage à un faubourg inachevé qu'à un cimetière abandonnée.
Le monde comme il ne va pas, 1910 (1910), G. K. Chesterton (trad. Marie-Odile Fortier-Masek), éd. L'Age D'Homme, 1994
(ISBN 2-8251-0482-5), p. 36
Cet enchaînement de sottises et d'atrocités qu'on appelle histoire ne mérite guère l'attention des hommes sensés.
- Lettre à M. Guilhem de Sainte-Croix, 12 septembre 1806
Mémoires, Correspondance et Opuscules inédits, Volume 1,
Paul-Claude Racamier, éd. Sautelet ; Mesnier, 1828, p. 145
Le bon historien n'est d'aucun temps ni d'aucun pays ; quoiqu'il aime sa patrie, il ne la flatte jamais en rien.
« Lettre à l'Académie » (1716), dans
Lettres à l'Académie française, Fénelon, éd. Slatkine Reprints, 1970, VIII (« Projet d'un traité sur l'histoire »), p. 111-112 (
voir la fiche de référence de l'œuvre)
Jupiter, dieu hautement représentatif du pouvoir, dieu par excellence de la première fonction et du premier ordre dans la tripartition indo-européenne, c'est à la fois le dieu aux liens et le dieu aux foudres. Eh bien, je crois que l'histoire, telle qu'elle fonctionne encore au Moyen Âge, avec ses recherches d'antiquité, ses chroniques au jour le jour, ses recueils d'exemples mis en circulation, c'est encore et toujours cette représentation du pouvoir, qui n'en est pas simplement l'image, mais aussi la procédure de revigoration. L'histoire, c'est le discours du pouvoir, le discours des obligations par lesquelles le pouvoir soumet ; c'est aussi le discours de l'éclat par lequel le pouvoir fascine, terrorise, immobilise. Bref, liant et immobilisant, le pouvoir est fondateur et garant de l'ordre ; et l'histoire est précisément le discours par lequel ces deux fonctions qui assurent l'ordre vont être intensifiées et rendues plus efficaces. D'une façon générale, on peut donc dire que l'histoire, jusque tard encore dans notre société, a été une histoire de la souveraineté, une histoire qui se déploie dans la dimension et dans la fonction de la souveraineté. C'est une histoire « jupitérienne ».
Dans l'histoire de type romain, la mémoire avait essentiellement à assurer le non-oubli — c'est-à-dire le maintien de la loi et la majoration perpétuelle de l'éclat du pouvoir à mesure qu'il dure. Au contraire, la nouvelle histoire qui apparaît va avoir à déterrer quelque chose qui a été caché, et qui a été caché non seulement parce que négligé, mais aussi parce que soigneusement, délibérément, méchamment, travesti et masqué. Au fond, ce que la nouvelle histoire veut montrer, c'est que le pouvoir, les puissants, les rois, les lois, ont caché qu'ils étaient nés dans le hasard et dans l'injustice des batailles.
Ils essaient, ces rois injustes et partiels, de se faire valoir pour tous et au nom de tous ; ils veulent bien que l'on parle de leurs victoires, mais ils ne veulent pas que l'on sache que leurs victoires étaient la défaite des autres, c'était « notre défaite ». Donc, le rôle de l'histoire sera de montrer que les lois trompent, que les rois se masquent, que le pouvoir fait illusion et que les historiens mentent. Ce ne sera dons pas une histoire de la continuité, mais une histoire du déchiffrement, de la détection du secret, du retournement de la ruse, de la réappropriation d'un savoir détourné et enfoui. Ce sera le déchiffrement d'une vérité scellée.
Il s'agit, dans cette histoire qui va s'opposer, dans sa forme même, au savoir du greffier et du juge, d'ouvrir les yeux du prince sur les usurpations dont il n'a pas eu conscience, et de lui restituer les forces, le souvenir des liens qu'il a eu sans doute intérêt à oublier lui-même et à faire oublier. Contre le savoir des greffiers, qui renvoie toujours d'une actualité à une autre, du pouvoir au pouvoir, du texte de la loi à la volonté du roi, et inversement, l'histoire sera l'arme de la noblesse trahie et humiliée ; une histoire dont la forme profondément anti-juridique sera, derrière l'écriture, le décryptage, la remémoration au-delà de toutes les désuétudes, et la dénonciation de ce que ce savoir cachait d'hostilité apparente. Voilà le premier grand adversaire de ce savoir historique que la noblesse veut lancer pour réoccuper le savoir du roi.
L'autre grand adversaire, c'est le savoir non plus du juge ou du greffier, mais de l'intendant : non plus le greffe, mais le bureau [...]. Contre ce savoir des intendants et du bureau, la noblesse veut faire valoir une autre forme de connaissance : une histoire, cette fois, des richesses et non plus une histoire économique, c'est-à-dire une histoire des déplacements des richesses, des exactions, des vols, des tours de passe-passe, des détournements, des appauvrissements, des ruines. Une histoire, par conséquent, qui passe derrière le problème de la production des richesses, pour montrer par quelles ruines, dettes, accumulations abusives, s'est constitué, de fait, un certain état des richesses qui n'est, après tout, qu'un mélange des malhonnêtetés accomplies par le roi avec la bourgeoisie. Ce sera donc, contre l'analyse des richesses, une histoire de la manière dont les nobles se sont ruinés dans des guerres sans fin ; une histoire de la manière dont l'Église s'est fait donner par ruse des terres et des revenus; une histoire de la manière dont la bourgeoisie a endetté la noblesse ; une histoire de la manière dont le fisc royal a rogné les revenus des nobles, etc.
Ce quelque chose qui parle désormais dans l'histoire, qui prend la parole dans l'histoire, et dont on va parler dans l'histoire, c'est ce que le vocabulaire de l'époque désigne par le mot de « nation ».
Les faits historiques se succèdent, qui non seulement se contredisent, mais s'annulent. Rien n'est « irréversible » (comme on dit maintenant), au contraire, tout se renverse, et nous avons des milliers de preuves : un excès de science conduit à l'ignorance crasse, et c'est la curiosité de l'ignorance qui récrée la science ; des sociétés marxistes ont existé dix mille ans avant Marx, pour se transformer en régimes aristocratiques, suivant un processus révolutionnaire inverse à celui qui a l'air de vouloir occuper aujourd'hui notre besoin de mouvement ; des empires sont devenus des républiques, et vice versa ; des royaumes se sont anarchiquement balkanisés, pendant que des nomades se coagulaient en empire, pour devenir ensuite socialistes, après être passés par tous les stades et avant de repasser par tous les stades. Rien ne dure. l'histoire n'est que le catalogue des inconstances de fortune. Rien ne durera de ce que nous fabriquons aujourd'hui. L'extrême pointe de l'avenir nous pique les fesses et nous croyons que c'est le passé.
C'est un métier que l'histoire, et non pas un hobby, un bavardage, une anecdote ou un canular.
« Préface », dans Un Fleuve et des hommes. Les gens de la Dordogne au XVIIIe siècle, Anne-Marie Cocula-Vaillières, éd. Tallandier, coll. « Bibliothèque Geographia », 1981, p. 11
C'est l'une des marques distinctives de l'histoire comme discipline universitaire : mieux on connaît une période donnée, plus il est dur d’expliquer pourquoi les choses se sont passées ainsi et pas autrement.
On a absolument aucune preuve que le bien-être des hommes s'améliore inévitablement au fil de l'histoire. [...] On a aucune raison de penser que les cultures qui ont le mieux réussi dans l'histoire soient nécessairement les meilleures pour Homo sapiens.
Ce qu'enseignent l'expérience et l'histoire, c'est que peuples et gouvernements n'ont jamais rien appris de l'histoire et n'ont jamais agi suivant des maximes qu'on en aurait pu retirer.
Tout récit historique suppose un séquençage.
Défense et illustration de la Renaissance, Jean-Marie Le Gall, éd. Presses universitaires de France, 2018
(ISBN 978-2-13-073038-5), p. 15
Tout bien réfléchi, cet essai aurait pu aussi s'intituler «Pour l'histoire». Même lorsqu'elle est tragique, elle est une richesse. Clio fait réfléchir, tient l'esprit critique en éveil et, par le dialogue, ouvre aux autres. Elle n'est un traumatisme que pour ceux qui ne veulent rien construire en commun et n'ont l'œil que sur ce qui est amer ou étroit.
Surtout, l'étude et la connaissance de l'histoire rendent libre. J'oserais même dire intelligent et moins perméable aux tromperies à la mode. C'est encore Emmanuel Berl qui écrivait que «si elle ne permet pas de prédire ce que feront et ne feront pas les gouvernements et les peuples, elle permet du moins de les entendre avec moins de sottise et de leur répondre sans trop de stupidité».
L'histoire nous libère des entraves, des limitations qu'imposait à notre expérience de l'homme notre mise en situation au sein du devenir, à telle place dans telle société à tel moment de son évolution, - et par là elle devient en quelque sorte un instrument, un moyen de notre liberté.
Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas arbitrairement, dans les conditions choisies par eux, mais dans des conditions directement données et héritées du passé. La tradition de toutes les générations mortes pèse d'un poids très lourd sur le cerveau des vivants.
Textes 1,
Karl Marx (trad. R. Cartelle et G. Badia), éd. sociales, coll. « Classiques du marxisme », 1972, chap. Les origines du coup d'État du 2 Décembre, p. 161
Il apparaît qu'on ne peut plus étudier les roches de la surfaces, sans être en même temps un "historien". Beaucoup sont étonnés par ces exigences tout à fait banales, pourtant facile à comprendre.
Préface in Gall, J.-C. (2002). Les métamorphoses de la Terre (112 p.)
. Vuibert,
Maurice Mattauer, éd. Vuibert, 2002, partie Préface, p. 9
Aujourd'hui, suite à des directives émanant des hautes instances scientifiques, il est bon ton de jeter le discrédit sur la "géologie historique" et la "géologie de terrain". Il est vrai que la tentation est grande de limiter les mesures physiques à une "Terre instantanée". Certains allés jusqu'à écrire que l' "ordinateur a remplacé le marteau du géologue".
Préface in Gall, J.-C. (2002). Les métamorphoses de la Terre (112 p.)
. Vuibert,
Maurice Mattauer, éd. Vuibert, 2002, partie Préface, p. 10
François Bédarida : Est-ce que pour vous l'histoire, en tant que chaîne entre les générations, chaîne entre les vivants et les morts, s'y apparente ?
François Mitterrand : D'une certaine manière, oui. Je ne crois pas beaucoup au destin individuel devant l'histoire. Peut-être dans le cas de quelques personnages mythiques, tel Moïse, quelques personnages d'une taille exceptionnelle ou mêlés à des événements d'une nature extraordinaire, comme Napoléon, César, Charlemagne… Mais même ceux-là, qu'est-ce que cela représente dans la poussière des siècles et des siècles ? Qu'en restera-t-il ? Quand on pense à la beauté, à la grandeur, à la force, à la réussite de l'empire égyptien et qu'il a fallu qu'au XIXè siècle un savant français en reconstitue jusqu'à la langue, car on avait oublié la langue de ce merveilleux empire, et depuis le Moyen Age, on ne pouvait même pas traduire les mots ! C'est dire la fragilité et la fugacité des choses humaines.
L'histoire devient une espèce de kaléidoscope en délire, où ne cessent de se succéder, et de plus en plus vite, des images éblouissantes et dépourvues de sens. Les frontières éclatent, les distinctions s'effacent. Chacun est lié aux autres par les ondes et la toile. La campagne disparaît peu à peu. les villes s'étendent et se rejoignent. Surgelées et contagieuses, les modes et les passions se transmettent à la vitesse de la lumière. les supermarchés, les désirs, les idées se ressemblent. Les langues déclinent et meurent. l'orthographe se délite. Un sabir se répand. Les sexes se confondent. les couleurs s'affadissent et perdent de leur éclat. Pour le meilleur et pour le pire, l’universel et l'unité sont au bout du chemin. l'entropie se déchaîne. les hommes commencent à deviner que leur destin est de disparaître dans l'avenir comme ils ont apparu dans le passé. Et ils se demandent ce qu'ils font là.
Un jour, je m'en irai sans en avoir tout dit,
Jean d'Ormesson, éd. Éditions Robert Laffont, 2013, p. 98
Toutes les scènes du passé qui s'animaient pour moi sur la terrasse de San Miniato, je ne leur accordais pas une importance démesurée. Je ne crois pas que le passé suffise pour comprendre l'avenir. Je vais jusqu'à penser que l'idée, si répandue, qu'il l'éclaire et l'explique ne signifie pas grand-chose. Ce qui est vrai jusqu'à l'évidence, c'est que le passé construit le socle sur quoi s'élève le présent, c'est qu'il accumule les conditions de toute histoire future. Le propre de la vie est de jaillir spontanément. Toujours l'inattendu a le plus de chances de survenir. Mais il faut d'abord qu'il parte de ce qui existe. Et que ce qu'on n'attend pas sorte de ce qu'on connaît. L'histoire est la contrainte de la vie. Le passé est ce qui empêche l'avenir d'être n'importe quoi.
— Je ne tiens pas compte des effets ; les effets ne me regardent pas.
— L’Histoire, pourtant…
— Le Roi seul et Dieu me jugeront, chacun dans son royaume et dans son temps.
— J’aime mieux vous dire tout de suite que l’Histoire ne retient pas le combat de La Douce et du Trono.
— C’est une bonne nouvelle. Je ne travaille pas pour les poètes de ce monde.
— Mais songez en revanche que l’Histoire peut ne retenir qu’un seul de vos gestes et l’illustrer dans toute sa noirceur apparente.
Aussi doit-on attacher moins d'importance quand on lit ou que l'on écrit l'histoire, au récit des faits qu’à ce qui s'est passé auparavant, en même temps et après ; car si l'on supprime la recherche des causes, des moyens, des intentions et des conséquences, heureuses ou malheureuses, de chaque événement, l’histoire n'est plus qu’un jeu d'esprit ; elle ne sert plus à l’instruction du lecteur ; elle distrait pour le moment, mais on n'en tire absolument aucun profit pour l'avenir.
Histoires, Polybe, éd. Benoît Lacroix, IIe siècle av. J.-C., chap. III, p. 31
L'histoire est le produit le plus dangereux que la chimie de l'intellectuel ait élaboré. Il fait rêver, il enivre les peuples, leur engendre de faux souvenirs, exagère leurs réflexes, entretient leurs vieilles plaies, les tourmente dans leur repos, les conduit au délire des grandeurs ou à celui de la persécution et rend les nations amères, superbes, insupportables et vaines. L'histoire justifie ce que l'on veut, n'enseigne rigoureusement rien, car elle contient des exemples de tout et donne des exemples de tout.
Regards sur le monde actuel,
Paul Valéry, éd. Gallimard, 1945, p. 43
L'histoire, je le crains, ne nous permet guère de prévoir ; mais associée à l'indépendance de l'esprit, elle peut nous aider à mieux voir.
« Discours de l'histoire », dans Variété IV, Paul Valéry, éd. Gallimard, coll. « NRF », 1938, p. 142
Aujourd'hui, beaucoup d'européens voudraient ne pas descendre de leurs ancêtres et se refaire une histoire idéale. Ou, à défaut, expier et se repentir au nom de leurs aïeux.
Tout cela est absurde et traduit une nation mal dans sa peau, obsédée de régler ses comptes avec elle-même. L'Histoire est ce qu'elle est, nous devons la connaître, l'assumer, la poursuivre en la dépassant, en nous gardant de la posture expiatoire comme de l'auto-encensement. Antidote au catéchisme du devoir de mémoire : L'Histoire. N'en rien occulter. Tout enseigner. Tout transmettre. En tirer des leçons pour l'avenir constamment réactualisées.
Les historiens racontent des événements vrais qui ont l'homme pour acteur ; l'histoire est un roman vrai.
Comment on écrit l'histoire (1971), Paul Veyne, éd. Seuil, coll. « Points histoire », 1971, p. 10
De temps en temps, comme un cortège passant dans une rue tranquille jette les reflets de ses torches sur les vitres d'une maison endormie, et les fait tressaillir du bruit de ses tambours et de ses fifres, l'histoire ainsi projette ses feux sur une famille à peu près sans histoire.
Archives du Nord, Marguerite Yourcenar, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1977
(ISBN 978-2-07-037328-4), partie I, chap. Le réseau, p. 49
Il est tellement naturel pour tâcher de comprendre les phénomènes de la vie humaine d'avoir recours aux notions d'historisme que le seul fait de vouloir remettre celles-ci en question paraît sacrilège. Certains pensent qu'on ne peut comprendre la société communiste dans son essence que d'un point de vu historiques, c'est-à-dire en considérant l'histoire de sa formation. L'histoire authentique, cela va s'en dire, et non pas l'histoire falsifié que pratiquent les historiens et les philosophes procommunistes. Selon eux, le déroulement des événements, la façon dont s'est constituée cette société suffise à expliquer la nature
Dans le cas présent le jugement historique fait en outre obstacle à la compréhension scientifique de la société qui nous intéresse, car les histoires imposent ici des fonctions étrangères à cette société
Le jugement historique porte l'attention sur des phénomènes dont il faut avant tout s'abstraire si l'on veut comprendre ce qu'est réellement cette nouvelle société née dans un contexte historique donné. Le processus historique est lui aussi, bien sûr, une réalité, mais c'est une réalité qui disparaît dans le passé. La nouvelle société qui a mûri en lui a vite fait de se débarrasser d'un revêtement historique qui l'encombre et lui est devenu étranger. Elle se constitue un autre environnement historique plus conforme à sa nature. La réalité sociologique est conçue, elle, pour rester. Elle est tournée vers l'avenir
La conscience historique est condamnée, quant à elle, à tout prendre pour argent comptant ; elle voit l'origine de la société communiste dans l'action des partisans de la doctrine communiste et lie le développement des forces adverses à l'action de ses ennemis. Elle est, par exemple, incapable de comprendre que sans l'aide des représentants des couches privilégiées de l'ancienne société russe la nouvelle société n'aurait pas pu tenir un an.
Dans le cas présent l'homme qui raisonne en historien n'est qu'un petit bourgeois déguisé.
L'histoire est « maîtresse de vie ». C'est une discipline formatrice de l'esprit, parce qu'elle vous apprend à raisonner dans la logique et au-delà de la science par la conscience.
À quand L'Afrique ? Entretien avec René Holenstein, Joseph Ki-Zerbo, éd. Éditions d'en bas, coll. « Le Livre équitable », 2013
(ISBN 978-2-8290-0456-8), p. 12