Sonnets portugais
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Sonnets portugais (titre original : Sonnets from the Portuguese) est l'œuvre la plus connue, au titre volontairement ambigu, d'Elizabeth Barrett Browning. Composé de 44 sonnets, ce recueil, publié en 1850, est une œuvre très personnelle, véritable hymne à sa relation avec son mari, Robert Browning. Celui-ci, après une première rencontre, acceptée avec réticence, en , sait peu à peu gagner son cœur, pour l'enlever ensuite à l'autorité de son père, le , l'épouser aussitôt, et s'enfuir ensemble pour l'Italie.
Le titre
[modifier | modifier le code]Il y a plusieurs raisons à ce titre, Sonnets from the Portuguese, dont on ne sait, a priori, si Portuguese concerne la langue ou une personne prétendument de nationalité portugaise. La seule certitude est que from exprime la provenance.
On le traduit généralement par « la Portugaise », parce qu'on en connaît le contexte, mais il est presque certain que le titre initialement voulu a été « Sonnets à partir du portugais » ou « traduits du portugais », souvent raccourci en français avec « Sonnets portugais ». En effet, Elizabeth Barrett les écrit pendant sa correspondance amoureuse avec Robert Browning, et ce dernier, qui les a connus sur le tard, trois ans après le mariage, insiste pour qu'elle les publie, lui remontrant qu'aucun ensemble de sonnets n'a existé d'aussi remarquable depuis Shakespeare.
Browning a expliqué les réticences de son épouse : (« […] tout ce retard, parce qu'il s'était trouvé que, quelque temps auparavant, j'avais dit ne pas être favorable à ce qu'on mît son amour en vers, puis encore quelque chose qui allait en sens contraire […], et le lendemain matin, elle dit sur un ton hésitant « Est-ce que tu sais que j'ai écrit des poèmes sur toi ? », puis « Les voici, s'il t'intéresse d'y jeter un coup d'œil ». […] Je revois bien le geste, j'entends les inflexions de la voix […] Après quoi, je m'occupai de la publication […] On a fait une tentative de camouflage en laissant de côté un sonnet se référant clairement à une publication antérieure, mais après, on l'a remis quand les gens ont décidé d'enlever le masque autrefois de rigueur […]. Mais moi, je ne m'en suis jamais soucié. »[N 1],[1],[2]. De toute façon, Elizabeth persiste à préserver son intimité et songe à un déguisement littéraire. Sa première idée est un camouflage particulièrement exotique pour l'époque, Sonnets from the Bosnian (« Sonnets bosniens »), mais Browning l'incite à changer le nom de la nationalité[3].
Le mot « Portuguese » (« portugais ») est retenu à un double titre, personnel et littéraire : en privé, Elizabeth porte le petit nom de « Portuguese » en raison de son teint très mat (elle est d'ascendance anglo-jamaïcaine créole)[4] et des tenues noires d'apparence gothique ; de plus, ces amants cultivés connaissent et admirent les Lettres portugaises de Claude Barbin, publiées à Paris en 1669[5]. Il s'agit d'un roman épistolaire enflammé écrit par Gabriel-Joseph de la Vergne, comte de Guilleragues (1628-1685), pair de France, diplomate, secrétaire du Prince de Conti et ami des sommités littéraires du XVIIe siècle, en particulier Madame de Sévigné, Boileau et Racine. Enfin, Elizabeth a écrit un poème intitulé Catarina to Camoens[N 2], chantant un amour désespéré avec des rimes suivant un schéma traditionnel de la versification portugaise, que Robert Browning admire beaucoup[3].
Le chant d'amour
[modifier | modifier le code]« De l'âme de cette petite chose à demi paralysée, l'amour de Browning, si fort et si confiant en la vie, produit comme par enchantement la plus belle œuvre poétique jamais écrite par une femme depuis Sappho — les Sonnets from the Portuguese »[6].
De fait, les 44 sonnets composant ce recueil sont tous des poèmes très personnels publiés en 1850, et non prétendument en 1847 à Reading, comme a pu le laisser accroire la Reading Version, éditée par Thomas James Wise (1859-1937), collectionneur réputé mais qu'un pamphlet démasque pour s'être fait une spécialité des faux littéraires. Ils décrivent la naissance, puis le développement du sentiment éprouvé par Elizabeth pour son correspondant si célèbre, si sobrement passionné et toujours si respectueux. Dans une lettre à Mrs Martin, elle fait un éloge vibrant de la force d'âme, du courage, de l'intégrité de Robert Browning[7].
Dans sa lettre du déjà citée, elle écrit à Browning qu'elle se voit comme un « a blind poet » (« un poète aveugle ») n'ayant vécu qu'intérieurement mais qui, malgré les manques qu'a entraînés sa claustration, a réalisé de grandes découvertes sur la nature humaine par la pratique de la conscience de soi et de l'introspection[8]. Cependant, ajoute-t-elle, « Ô combien, en tant que poète, voudrais-je échanger quelque chose de cet incapable savoir, pesant et encombrant, contre une expérience de la vie et de l'homme » ([…] How willingly I would as a poet exchange some of this lumbering, ponderous, helpless knowledge of books, for some experience of life & man…) [9].
Peu à peu, elle laisse paraître sa lente mais constante avancée vers la certitude que l'amour ainsi offert est sincère et profond, et tout cela culmine en une explosion de bonheur d'autant plus jubilatoire qu'il est tardif (Elizabeth Barrett, qui n'est pas encore Browning, a 40 ans et est l'aînée de Browning de six ans)[10]. Tel est, en particulier, le cas dans l'avant-dernier sonnet, le XLIIIe, le plus célèbre et le plus souvent cité.
Cette série progresse donc de sonnet en sonnet, depuis la méfiance (après tout, Elizabeth reçoit de nombreuses lettres d'admirateurs et elle connaît « la vanité et l'inconstante des hommes »[11]), puis la reconnaissance d'une sincérité troublante et jamais démentie, les tentations de rejeter cet aimé pour se sentir indigne de lui, l'acceptation de sa passion sans espoir de réciprocité, l'impuissance à puiser son inspiration poétique ailleurs que dans cet amour enfin accepté, et, au bout du compte, l'audace suprême qui la jette hors d'elle-même, hors de son refuge, de sa famille, de sa jeunesse finissante pour lui en conférer une nouvelle, quasi triomphante. Dans le sonnet XLII, elle s'exclame : « […] "Mon futur ne sera pas la copie au propre de mon passé" / Mon ange gardien a justifié / Ce mot par son ardent regard dirigé / Vers le blanc trône de Dieu, je me suis tourné enfin, / Et là, à sa place, je t'ai vu, toi, l'allié des anges en ton âme ! » ("My future will not copy fair my past […] / My ministering life-angel justified / The word by his appealing look upcast / To the white throne of God, I turned at last, / And there, instead, saw thee, not unallied / To angels in thy soul! […]), et elle ajoute dans sa lettre à Robert du : « Dieu vous bénisse, et justifie ce qui a été par ce qui sera […] et me laisse libre de ne gâcher jamais aucun de vos soleils ! »[12].
Comme l'écrit Lauraine Jungelson, « Les Sonnets traduits du portugais sont légitimement considérés comme la plus belle œuvre d'Elizabeth Browning, peut-être parce que la poétesse, habituellement critiquée pour l'absence de clarté de ses métaphores, a su discipliner son talent dans la stricte forme du sonnet qui a l'avantage d'imposer l'utilisation d'une seule image, et de favoriser l'expression cohérente de sentiments intimes. […] leur beauté et leur intérêt sont constitués par le récit dramatique de l'évolution amoureuse d'une femme »[13],[14].
Un sonnet, n° XLIII
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How do I love thee? Let me count the ways |
Comment t'aimé-je ? Laisse-moi t'en compter les façons. |
Annexes
[modifier | modifier le code]Notes
[modifier | modifier le code]- Citation : «[…] all this delay, because I happened early to say something against putting one's love into verse: then again, I said something else on the other side […] and next morning she said hesitatingly "Do you know I once wrote some poems about you?" — and then — "There they are, if you care to see them." […] How I see the gesture, and hear the tones […] Afterward the publishing them was through me […] there was a trial at covering it a little by leaving out one sonnet which had plainly a connexion with the former works: but it was put in afterwards when people chose to pull down the mask which, in old days, people used to respect […]. But I never cared. »
- Luis de Camoens, ca 1525-1580, est une figure nationale de la poésie portugaise : Catarina de Ataide lance du Portugal avant de mourir un cri d'amour au poète exilé précisément pour des vers qui la célébraient.
- C'est-à-dire ceux qu'elle a aimés et qui ne sont plus, les « siens », sa mère, son frère.
Références
[modifier | modifier le code]- [[#Elizabeth Barrett Browning, trad. et présent. de Lauraine Jungelson 1994|Elizabeth Barrett Browning, trad. et présent. de Lauraine Jungelson 1994]], p. 19
- Dorothy Mermin 1989, p. 339
- Elizabeth Barrett Browning, trad. et présent. de Lauraine Jungelson 1994, p. 19
- Le petit nom « Portuguese » sur poets.org (consulté le 22 mai 2009).
- Claude Barbin sur portugalmania.com (consulté le 22 mai 2009).
- Rudolf Kassner 1969, p. 265-266
- I admire such qualities as he has—-fortitude, integrity. I loved him for his courage in adverse circumstances which were yet felt by him more literally than I could feel them. Always he has had the greatest power over my heart, because I am of those weak women who reverence strong men. Cité par Esther Lombardi, Love and the Brownings: Robert Browning and Elizabeth Barrett Browning, sur about.com (consulté le 22 mai 2009).
- Letters of Robert Browning and Elizabeth Barrett Barrett, 1845-1846, 1969, tome I page 41.
- Letters of Robert Browning and Elizabeth Barrett Barrett, 1845-1846, 1969, tome I, page 41.
- Elizabeth Barrett Browning, trad. et présent. de Lauraine Jungelson 1994, p. 161-164
- Elizabeth Barrett Browning, trad. et présent. de Lauraine Jungelson 1994, p. 11
- Elizabeth Barrett Browning, trad. et présent. de Lauraine Jungelson 1994, p. 174, note 1
- Elizabeth Barrett Browning, trad. et présent. de Lauraine Jungelson 1994, p. 29
- Voir aussi, sur la facture et la substance des sonnets : Bertrand Degott, Pierre Garrigues, Université de Franche-Comté, Le Sonnet au risque du sonnet, 2006 (consulté le 22 mai 2009).
- « Je vous aime plus que moi-même, de toute l'ampleur des cieux », Lettre d'Elizabeth Barrett Browning à Robert Browning du 29 mars 1846. Traduction de Lauraine Jungleson, 1994, page 175.
- « Je remercie Dieu de pouvoir regarder par-delà le tombeau avec vous… et j'espère être plus digne de vous, là au moins », Lettre d'Elizabeth Barrett Browning à Robert Browning du 7 mai 1846. Traduction de Lauraine Jungleson, 1994, page 175.
Bibliographie
[modifier | modifier le code]- (fr) André Maurois, Robert et Elizabeth Browning, Portraits, Grasset, Paris, 1955.
- (fr) Charles Du Bos, Robert et Elizabeth Browning ou La plénitude de l'amour humain, Préface de Bernard Brugière, Klicksieck, Paris, 1981.
- Elizabeth Barrett Browning, trad. et présent. de Lauraine Jungelson (trad. de l'anglais), Sonnets portugais : et autres poèmes, Paris, nrf, Poésie/Gallimard, , 178 p. (ISBN 2-07-032819-8).
- Elizabeth Barrett Browning, trad. et présent. de Claire Malroux (trad. de l'anglais), Sonnets portugais, Paris, Le Bruit du temps, , 151 p. (ISBN 978-2-35873-006-8, lire en ligne).
- (de) Rudolf Kassner, Sämtliche Werke, Die Mystik, die Künstler und das Leben, vol. 1, Pfullingen Neske,
- (en) Dorothy Mermin, Elizabeth Barrett Browning : The Origins of a New Poetry, Chicago, , 310 p. (ISBN 978-0-226-52039-1, lire en ligne)