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Les Dames de Kimoto

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Les Dames de Kimoto (紀ノ川, Kinokawa?, litt. « La Rivière Ki ») est un roman de l'autrice japonaise Sawako Ariyoshi, publié pour la première fois en 1959, au Japon. Sa traduction française paraît en 1983 aux éditions Stock. Le récit est construit en trois parties, narrant successivement l'histoire de trois femmes de générations différentes. À travers ces portraits, Sawako Ariyoshi dépeint l'évolution de la condition féminine au Japon depuis la fin du XIXe siècle jusqu'au milieu du XXe siècle.

Présentation

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La romancière japonaise Sawako Ariyoshi naît le , à Wakayama, dans la préfecture de Wakayama, au Japon[1],[2]. Sa carrière d'écrivaine commence en 1954[3], avec la rédaction de critiques théâtrales, notamment pour le mensuel Le Monde du Théâtre[l 1],[B 1], et de scénarios pour la télévision et la radio et la publication de nouvelles[1],[5].

Durant les cinq premiers mois de l'année 1959, le mensuel féminin Fujin Gahō publie, sous la forme d'un roman-feuilleton, la première de ses plus importantes créations littéraires : Kinokawa[l 2] (« Les Dames de Kimoto[2] »)[B 3],[6],[1]. Ce roman-fleuve, édité, à partir de juin 1959, par la maison d'édition japonaise Chūōkōronsha[B 2], est le premier tome d'une « trilogie fluviale »[2] comprenant aussi les romans Aridagawa[l 3] (La Rivière Arida[8], 1963) et Hidakagawa[l 4] (La Rivière Hidaka, 1965[8])[2]. Plus de trois millions d'exemplaires de cette œuvre ont été vendus au Japon[10]. En 1980, le roman est traduit en anglais, par la maison d'édition Kōdansha[B 4], puis, trois ans plus tard, en français, par les éditions Stock[8].

Les Dames de Kimoto est une chronique historique qui dresse les portraits de trois générations de femmes d'une même famille, dans un Japon en pleine transition vers la modernité. Sawako Ariyoshi y met en évidence la pression des traditions patriarcales qui s'exerce durablement sur les femmes japonaises, de l'ère Meiji (1868-1912) à l'ère Shōwa (1926-1989)[B 5]. Les protagonistes féminins sont inspirés de membres de la propre famille de l'auteure. L'action se déroule au Japon, dans la préfecture de Wakayama, d'où Sawako Ariyoshi est originaire[2]. Plus précisément, comme nombre de ses romans, elle se développe dans le Kihoku[l 5], une région située dans le Nord de la péninsule de Kii, au cœur du Kishū[l 6], autre nom de l'ancienne province de Kii[11],[B 6].

Les Dames de Kimoto a pour héroïne principale : Hana[l 7], née en 1876[B 7] dans une famille bourgeoise de Wakayama. Le roman raconte sa vie, de son mariage à sa mort, en passant par la naissance et l'évolution de sa fille, Fumio[l 8], puis la venue au monde de sa petite-fille[12],[13]. L'auteure expose, en trois parties[B 8], qui couvre une période historique allant de 1899 à 1958[B 2], les conflits opposant Hana, à sa fille et à la fille de sa fille, une métaphore des tiraillements générationnels entre un Japon traditionnel — celui de l'ère Meiji —, un pré-moderne — celui de l'ère Taishō (1912-1926) — et un troisième moderne — celui de l'ère Shōwa —[B 9].

Première partie

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Hana, l'héroïne principale du roman de Sawako Ariyoshi, est une jeune femme, membre d'une famille appartenant à la bourgeoisie provinciale de Wakayama. Éduquée par sa grand-mère Toyono[l 9], une figure traditionnelle de la gent féminine de l'époque d'Edo (1603-1868), elle est destinée à devenir une parfaite maîtresse de maison[14],[B 8]. Mariée, par l'entremise de sa mère[B 10], au fils aîné, à peine fréquenté[B 10], d'une famille locale : la famille Matani[l 10], puis devenue mère, elle assume son rôle d'épouse dévouée à son mari, promu conseiller préfectoral. Se conformant aux conventions sociales, en public comme au sein de son foyer, elle fait face, avec courage et en silence, à toutes les épreuves qui lui sont imposées[B 8],[B 2].

Deuxième partie

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La seconde partie du roman est centrée sur la destinée de la fille d'Hana : Fumio[B 8]. Étudiante dans une université de Tokyo réservée aux femmes, puis mariée à un employé de banque avec qui elle s'installe à l'étranger, celle-ci est une jeune femme de son temps, féministe et rebelle à la vision du monde passéiste de sa mère, ce qui ne manque pas de multiplier les conflits générationnels entre la mère et la fille[B 11],[B 2],[12]. La mort d'un de ses fils incite cependant Fumio à retourner au Japon. Elle y renoue des liens familiaux avec sa mère Hana et donne naissance à une fille : Hanako[l 11],[B 2].

Troisième partie

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La dernière partie du roman raconte l'évolution de Hanako, fille de Fumio et petite-fille de Hana, durant la période de guerre mondiale, puis l'occupation américaine, au cours de laquelle le lent déclin de la famille Matani s'achève par la confiscation de leurs biens fonciers[B 12],[B 2].

À Wakayama, au chevet de sa grand-mère mourante, Hanako prend conscience qu'un héritage fait de traditions ancestrales solidement ancrées la relie à son arrière-grand-mère, Toyono, à Hana et à sa mère[B 12],[B 2].

Dans son livre Les Dames de Kimoto, l'écrivaine Sawako Ariyoshi, qui commence son œuvre littéraire dans un Japon en pleine période de « miracle économique », retrace, en tirant les portraits de trois générations de femmes, la marche forcée du Pays du Soleil levant qui a conduit, du début du XXe siècle aux années 1950, à la modernisation du pays[12],[B 2]. Bien que les personnages masculins du roman occupent des positions sociales de pouvoir, leur devenir reste en marge de la narration de la romancière. Selon celle-ci, les maîtresses de maison forment la véritable force motrice de l'évolution du Japon, à l'image de Hana, son héroïne[12].

Au début de l'œuvre romanesque, Toyono transmet à sa petite-fille Hana des valeurs traditionnelles qui définissent un ordre naturel des choses à respecter, tel l'écoulement des eaux du fleuve Ki, de sa source à son embouchure. Le mari qu'elle choisit pour son enfant, par exemple, est membre d'une famille moins fortunée, mais qui habite plus en aval du cours d'eau. Par son entrée dans la famille Matani, Hana progresse, symboliquement, suivant le sens du courant fluvial[B 13],[12]. L'auteure s'applique à souligner l'ambivalence de son héroïne par analogie avec le fleuve Ki, passif et puissant, et avec le lierre, plante solide et d'un usage décoratif traditionnel[B 14]. Si, soumise à l'ordre social nippon[B 15], Hana est maintenue à une position sociale subalterne par rapport à celle de son mari, elle exerce un contrôle effectif sur les occupants de l'espace domestique, notamment sur le chef de famille[B 16]. L'adhésion de Hana aux valeurs féminines traditionnelles est cependant contrariée par Fumio, la fille cadette de la famille. Celle-ci développe des attitudes comportementales propres à celles que des parents tels que le couple Matani attendent de leur fils aîné. Elle rejette les rôles et les activités traditionnellement assignés aux femmes, préférant, par exemple, résoudre des problèmes de mathématiques ou monter à vélo que s'atteler à des tâches domestiques. Des querelles, parfois violentes, opposent fréquemment la mère et la fille[B 17]. Mais, comme souvent dans l'univers littéraire de Sawako Ariyoshi, l'ordre naturel des choses, c'est-à-dire le poids des traditions ancestrales japonaises, finit par s'imposer aux protagonistes féminines[B 8],[B 18]. Des épreuves de la vie — la mort d'un enfant —, ramènent au Japon Fumio, expatriée en Chine. Hanako, la fille de Fumio, née sur le sol natal de sa mère, se révèle, pour la plus grande joie de sa grand-mère, sensible à la beauté des flots du fleuve Ki et consciente d'être porteuse de l'héritage légué par Toyono[B 19].

Adaptation au cinéma

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En 1966, sous le titre La Rivière Kii, le cinéaste Noboru Nakamura réalise une adaptation cinématographique de la fresque sociale de Sawako Ariyoshi[10],[B 3]. La distribution du film rassemble, entre autres, les acteurs et actrices Yōko Tsukasa, Shima Iwashita, Arikawa Yuki, Chieko Higashiyama, Takahiro Tamura, Tetsurō Tanba et Kiyoshi Nonomura[6]. Lors de la 21e édition de la remise du prix du film Mainichi, Yōko Tsukasa reçoit le prix de la meilleure actrice, pour son interprétation de l'héroïne Hana[6].

Notes et références

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Notes lexicales bilingues

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  1. Le Monde du Théâtre (演劇界, Engekikai?), magazine mensuel créé en 1949 et spécialisé dans le kabuki, la critique théâtrale et la photographie[4].
  2. Les Dames de Kimoto (紀ノ川, Kinokawa?, litt. « La Rivière Ki »)[2],[B 2]. Le Kinokawa est le fleuve Ki, dont l'embouchure, le canal de Kii, est située dans la ville de Wakayama[6]
  3. 有田川 (Aridagawa?, litt. « La Rivière Arida »)[2]. L'Aridagawa est le fleuve Arida, dont l'embouchure, le canal de Kii, est située dans la ville d'Arida (préfecture de Wakayama)[7].
  4. 日高川 (Hidakagawa?, litt. « La Rivière Hidaka »)[2]. Le Hidakagawa est le fleuve Hidaka, dont l'embouchure, le canal de Kii, est située dans la ville de Gobō (préfecture de Wakayama)[9].
  5. Le Kihoku (紀北, Kihoku?, litt. « Nord de Ki »).
  6. Le Kishū (紀州, Kishū?, litt. « province de Ki »).
  7. Hana (?, litt. « Fleur »).
  8. Fumio (文緒?).
  9. Toyono (豊乃?).
  10. La famille Matani (真谷家, Matani-ke?).
  11. Hanako (華子?, litt. « jeune femme en fleur »).

Références bibliographiques

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  1. Tahara 1991, p. 299.
  2. a b c d e f g h et i Maruyama 2015, p. 28.
  3. a et b Tahara 1991, p. 303.
  4. Tahara 1991, p. 297.
  5. Tahara 1991, p. 303-304.
  6. Maruyama 2015, p. 27.
  7. Nakanishi 2007, p. 5.
  8. a b c d et e Tahara 1991, p. 304.
  9. Maruyama 2015, p. 41.
  10. a et b Nakanishi 2007, p. 7.
  11. Tahara 1991, p. 304-305.
  12. a et b Tahara 1991, p. 305.
  13. Nakanishi 2007, p. 7-8.
  14. Nakanishi 2007, p. 8.
  15. Nakanishi 2007, p. 13-14.
  16. Nakanishi 2007, p. 8-9.
  17. Nakanishi 2007, p. 9-10.
  18. Nakanishi 2007, p. 10.
  19. Nakanishi 2007, p. 11.

Autres références

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  1. a b et c (en) « Ariyoshi Sawako », Encyclopædia Britannica, (consulté le ).
  2. a b c d e f g et h (en) Sachiko Shibata Schierbeck et Marlene R. Edelstein, « Postwar writers who question the tradition, 1945 to 1959 - Sawako Ariyoshi (1931-1984) », dans Japanese Women Novelists in the 20th Century : 104 Biographies, 1900-1993, Copenhague, Museum Tusculanum Press, , 378 p. (ISBN 9788772892689 et 8772892684, OCLC 32348453), p. 143-148.
  3. (en) Michael D. Sollars (dir.) et Charlotte S. Pfeiffer, World Novel : 1900 to the present, vol. I, New York, Facts On File, , 948 p. (ISBN 9780816062331, OCLC 899748266), p. 36-37.
  4. (ja) Asahi Shinbun, « 演劇界は » [« Le Monde du Théâtre »], sur Kotobank,‎ (consulté le ).
  5. « Ariyoshi Sawako », éditions Picquier, (consulté le ).
  6. a b c et d (ja) Asahi Shinbun, « 紀ノ川 » [« Le fleuve Ki »], sur Kotobank,‎ (consulté le ).
  7. (ja) Asahi Shinbun, « 有田川 » [« Le fleuve Arida »], sur Kotobank,‎ (consulté le ).
  8. a b et c Max Tessier (dir.) et Catherine Cadou, « Ariyoshi Sawako (1931-1984) », dans Cinéma et littérature au Japon de l'ère Meiji à nos jours (catalogue d'exposition Japon des avant-gardes (décembre 1986-mars 1987)), Paris, Centre Georges Pompidou/Fondation du Japon, , 119 p. (ISBN 9782858503728, OCLC 231852249, BNF 34879427), p. 46.
  9. (ja) Asahi Shinbun, « 日高川 » [« Le fleuve Hidaka »], sur Kotobank,‎ (consulté le ).
  10. a et b Clémence Leleu, « Sawako Ariyoshi, la Simone de Beauvoir japonaise », sur Pen Magazine International, CCC Media House, (consulté le ).
  11. (ja) Asahi Shinbun, « 紀州は » [« Kishū »], sur Kotobank,‎ (consulté le ).
  12. a b c d et e (en) Iain Maloney, « Sawako Ariyoshi's 'The River Ki' explores characters who swim against life's current » [« Les Dames de Kimoto de Sawako Ariyoshi décrit des personnages qui nagent à contre-courant de la vie »], The Japan Times, (consulté le ).
  13. (en) Yoko McClain, « Ariyoshi Sawako : Creative Social Critic », The Journal of the Association of Teachers of Japanese, vol. 12, nos 2/3,‎ , p. 222-223 (DOI 10.2307/489167, présentation en ligne).
  14. Juliette Arnaud, « “Les Dames de Kimoto” de Sawako Ariyoshi », séquence radiophonique de l'émission La Chronique de Juliette Arnaud, France Inter, (consulté le ).

Articles connexes

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Bibliographie

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Document utilisé pour la rédaction de l’article : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • (ja) Sawako Ariyoshi, 紀ノ川 [« Kinokawa »], Tokyo, Chūōkōronsha,‎ , 234 p. (OCLC 9285015).
  • Sawako Ariyoshi (trad. du japonais par Yoko Sim et Anne-Marie Soulac), Les Dames de Kimoto [« 紀ノ川 »], Paris, éditions Stock, coll. « Nouveau cabinet cosmopolite »,‎ , 283 p. (ISBN 9782234015265, OCLC 757262393, BNF 34718595).
  • (en) Mildred Tahara, « Ariyoshi Sawako : The novelist », dans Heroic with Grace : Legendary Women of Japan, Armonk, M. E. Sharpe, , 1re éd., 326 p. (ISBN 9780873325523 et 0873325524, OCLC 875453626, DOI 10.4324/9781315703718), p. 297–322. Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article.
  • (en) Wendy Nakanishi (republication dans Timothy Iles et al., Researching Twenty-first Century Japan: New Directions and Approaches for the Electronic Age, [« Recherches sur le Japon du XXIe siècle : nouvelles pistes et approches, à l'ère numérique »], Lexington Books, 2012, p. 279-300, (ISBN 9780739170144)), « "Desperate housewives" in modern Japanese fiction: three novels by Ariyoshi Sawako » [« « Desperate housewives » dans la fiction japonaise moderne : trois romans de Sawalo Ariyoshi »], Electronic journal of contemporary japanese studies, vol. 7, no 1,‎ (lire en ligne [PDF]). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article.
  • (ja) Michiyo Maruyama, « 有吉佐和子『紀ノ川』を「地方」と「都市」から読む:『紀ノ川』における紀北地方の位置 » [« La campagne et la ville dans Kinokawa de Sawako Ariyoshi : place de la région Kihoku »], Studies in Urban Cultures, Osaka, The Urban-Culture Research Center, vol. 17,‎ (lire en ligne [PDF]). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article.