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Fête de l’industrie

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FÊTE DE L’INDUSTRIE


Inauguration du chemin de fer du Midi.


Le 2 avril est désormais une grande date pour le midi de la France.

L’inauguration d’un chemin de fer n’est pas seulement la consécration d’un utile et important travail, le couronnement d’une entreprise féconde ; elle a un caractère plus général et plus élevé, elle est la fête du travail et de l’industrie ; elle est la fête de la richesse. Le temps, c’est de la monnaie, disent avec une grande justesse de pensée les Américains. Multiplier le temps, c’est multiplier le capital universel ; l’inauguration d’un chemin de fer, c’est donc la fête du bien-être général ; c’est mieux que cela encore, c’est la fête de la civilisation. Cette locomotive, ce dragon au corps de fer et aux entrailles de feu qui emporte, dans son essor, voyageurs et marchandises, vous croyez qu’il n’entraîne avec lui que des hommes et des colis ?… Erreur ! il transporte un bagage bien autrement précieux. Son brasier n’est pas seulement un âtre de chaleur et un générateur de force, c’est encore un foyer de lumière. Un savant professeur, M. Michel Chevalier, l’a dit : « Avec les ballots circulent les idées. » Et, comme si cette vérité n’était pas assez manifeste, voilà des fils de fer qui s’étendent parallèles aux rails et la pensée qui s’élance le long de ces fibres en effluves palpitantes. Chose étrange ! ce fluide qui jaillit en éclairs dans le ciel, fait jaillir dans les intelligences la pensée, cet éclair mental. La lumière pour les yeux et les esprits jaillit de la même source.

Ces ardentes et intelligentes populations du Midi l’ont bien compris ; voyez avec quel enthousiasme elles l’accueillent ; vous avez la scène dans toute sa réalité ; comme toutes celles que donne le monde illustré, elle a été prise sur la nature ; il n’a pas voulu s’en tenir à une reproduction rapide et, à raison même de sa rapidité, trop souvent incomplète ; à une de ces improvisations du crayon dont la précipitation indique plutôt la scène qu’elle ne la reproduit et l’arrête. Un habile photographe, M. Le Gray, l’a saisie dans le fait même, et le burin l’a fixée dans sa vérité vivante. La voici donc : Toulouse s’est parée de festons et de guirlandes pour recevoir ce glorieux hôte ; Bordeaux le bénit par la voix de son prélat. Oh ! oui, bénissez-le, monseigneur ! bénissez-le, le triomphateur pacifique, car, lui aussi, c’est un apôtre : qui ne voit pas qu’en supprimant les distances, il rapproche les hommes ? Or, le terme que le divin Maître nous a proposé à tous comme le but de la perfection, n’est-ce pas l’unité ?

Inauguration du chemin de fer de Toulouse à Cette, d’après une photographie de M. Le Gray


Inauguration du chemin de fer de l’Ouest.


Mgr l’évêque de Rennes a béni, lui aussi, l’apparition de ce merveilleux inconnu sous le ciel un peu ténébreux de la vieille Armorique ; mais, comme le remarquait, dans notre dernier numéro, un écrivain, chroniqueur aussi spirituel que puissant romancier, ce n’a été ni sans restriction ni sans réserves. Le peuple breton a été plus confiant ; ce peuple si constant, — constant comme son sol de granits et de chênes ; — ce peuple si rebelle à tout changement, s’est ému : il a compris la voix stridente du nouveau coursier. La Bretagne est le pays des poëtes, et si le poëte aime à contempler dans les nuages du passé les lumineuses réfractions du souvenir, ce n’est pas en arrière seulement qu’il aime les horizons lointains ; ce n’est pas sans cause que les anciens l’ont nommé vates (prophète), il sait aussi deviner l’avenir et le peuple breton a compris tout ce que lui promettait de prospérité, de bien-être et de richesse cette rapidité qui est aussi une force et peut devenir une clarté. Il a compris que les guérets peuvent succéder aux landes ; que les brises de l’Océan peuvent rouler, en houle d’or, des moissons là où elles ne frémissent aujourd’hui que dans les ajoncs et dans les bruyères sans que ses plaines en soient moins belles, ses coteaux moins pittoresques et moins riants. Toutes ses stations se sont parées de banderoles et de genêts en fleur : la Gravelle acclame le puissant renovateur, Vitré lui bat des mains, les Rochers, pour le saluer, oublient leur spirituelle marquise ; Rennes fait mieux : elle convoque, pour le fêter, son passé et son présent, ses moines et ses ouvriers, ses chevaliers et ses soldats, ses comtes et ses industriels. Voyez plutôt, à notre page 5, le cortége qui défile : c’est Jean V, un brave homme de duc, peu batailleur à cette époque glorieuse des morions et des horions, un agréable juste milieu entre le roi d’Yvetot et Marc-Aurèle ; c’est Arthur de Bretagne, c’est le connétable de Clisson, un homme tout d’acier celui-là : armure et cœur, l’antithèse sanglante du bon duc. Si sa vaillance lui valut l’épée au foureau fleurdelisé des connétables de France, sa cruauté lui mérita le surnom de Boucher, et son blason est resté taché de cette rouille de sang ; mais voici l’infortuné Gilles et son frère François que le remords doit frapper mortellement comme un coup de poignard ; puis le sire de Laval, et tant d’autres, tout le passé : chevaliers, religieux, bannerets, hérauts, écuyers, qui vient s’associer au présent, dont les chars emblématiques symbolisent toutes les activités et toutes les vaillances pour célébrer l’apparition de cet hôte généreux qui s’appelle : l’Avenir.

F. G.
Inauguration du chemin de fer de Rennes — Cortége du duc Jean V