Antilabè
L’antilabè (du grec ancien : ἀντιλαβή « anse, poignée » puis « prise » puis enfin « motif d’objection, reproche ») est une figure de rhétorique employée en poésie et particulièrement dans le théâtre versifié. Il y a antilabè lorsqu'un même vers est morcelé en deux ou plusieurs répliques de deux ou plusieurs personnages ou voix. Cette figure est proche de la stichomythie ; un cas particulier d’antilabè est d’ailleurs l’hémistichomythie. Elle produit un effet plus vif encore que cette dernière : l’échange entre personnages y est plus rapide, gagne parfois en intensité ou en émotion, et dégage une impression de spontanéité accrue de la part des personnages. On peut distinguer une antilabè bipartite, tripartite, quadripartite, etc. Malgré ce morcellement, le mètre et le système des rimes sont conservés. On décale le texte typographiquement pour montrer le prolongement du vers.
Théâtre antique
[modifier | modifier le code]L’antilabè figure dans presque toutes les pièces de Sophocle et d’Euripide. Cette technique est bien adaptée aux scènes les plus intenses émotionnellement, dans lesquelles un locuteur contredit ou confirme à plusieurs reprises les idées d'un autre. Dans les pièces d’Eschyle, à l’exception peut-être du Prométhée enchaîné (v. 980), ce phénomène ne se produit pas.
Dans l’Œdipe de Sophocle, par exemple, lorsque Créon s’empare d’Antigone (v. 832), une strophe lyrique excitée multiplie les moments d’antilabè, auxquelles participent Œdipe, Créon et le chœur. Dans Electre (vv. 1502-1503), l’antilabè se produit alors qu’Oreste essaie d'inciter Égisthe à entrer dans la maison pour qu’Oreste puisse le tuer. L’antilabè est souvent utilisée, avec une liberté particulière, dans les dernières pièces d'Euripide.
Théâtre français
[modifier | modifier le code]Corneille, Le Cid, 1637, v. 855
- CHIMÈNE
Hélas !
- RODRIGUE
- Écoutez-moi.
- CHIMÈNE
- Je me meurs.
- RODRIGUE
- Un moment.
En 1666, Le Misanthrope de Molière fait usage de l’antilabè, comme ici (acte II, scène 3) avec deux vers morcelés en quatre parties chacun :
- CÉLIMÈNE
Où courez-vous?
- ALCESTE
- Je sors.
- CÉLIMÈNE
- Demeurez.
- ALCESTE
- Pour quoi faire?
- CÉLIMÈNE
Demeurez.
- ALCESTE
- Je ne puis.
- CÉLIMÈNE
- Je le veux.
- ALCESTE
- Point d'affaire.
En 1897, Cyrano de Bergerac de Rostand enchaîne les moments d’antilabè, ici (acte III, à cheval sur les scènes I et II) en trois, six et deux parties :
- CYRANO, entrant dans la maison.
Bien ! bien ! bien !
(De Guiche paraît.)
Scène II ROXANE, DE GUICHE, LA DUEGNE à l’écart.
- ROXANE, à de Guiche, lui faisant une révérence.
- Je sortais.
- DE GUICHE
- Je viens prendre congé.
- ROXANE
Vous partez ?
- DE GUICHE
- Pour la guerre.
- ROXANE
- Ah !
- DE GUICHE
- Ce soir même.
- ROXANE
- Ah !
- DE GUICHE
- J’ai
Des ordres. On assiège Arras.
- ROXANE
- Ah !… on assiège ?…
Bibliographie
[modifier | modifier le code]- Bernard Dupriez, Gradus, les procédés littéraires, Paris, 10/18, coll. « Domaine français », , 540 p. (ISBN 2-2640-3709-1).
- Georges Molinié et Michèle Aquien, Dictionnaire de rhétorique et de poétique, Paris, LGF - Livre de Poche, coll. « Encyclopédies d’aujourd’hui », , 350 p. (ISBN 2-2531-3017-6).
- Michel Jarrety (dir.), Lexique des termes littéraires, Paris, Le Livre de poche, , 475 p. (ISBN 978-2-253-06745-0)
- Bonaria, Mario. "Lantilabé nella tragedia antica." In Studi di filologica in onore di Giusto Monaco. I, Letteratura greca. Palerme: Université de Palerme, Faculté des Lettres et de philosophie, 1991, pp. 173–188.
- McDevitt, A. S. "Antilabe in Sophoclean Kommoi", In Rheinisches Museum 124 (1981), pp. 19–28.
- Gildersleeve, Basil Lanneau, Miller, Charles William Emil et Meritt, Benjamin Dean Meritt . American Journal of Philology. Volumes 41-60. 1939, p. 183.
- Hogan, Robert. The Dramatic Function of Antilabe in Greek Tragedy. Trinity College, 1998.
- Dieter Burdorf, Christoph Fasbender et Burkhard Moennighoff (Hrsg.): Metzler Lexikon Literatur. Begriffe und Definitionen., t. 3, Metzler, Stuttgart, 2007, (ISBN 978-3-476-01612-6), p. 34.
- Gero von Wilpert: Sachwörterbuch der Literatur., t. 8, Kröner, Stuttgart, 2013, (ISBN 978-3-520-84601-3), p. 34.