Mannois

langue celtique appartenant à la branche des langues gaéliques et parlée sur l’île de Man

Le mannois, manxois ou manx (endonyme : Gaelg ou Gailck) est une langue celtique appartenant à la branche des langues gaéliques, et parlée sur l'île de Man, en mer d'Irlande par environ 1 700 personnes. Le mannois est assez proche du gaélique irlandais, et aussi du gaélique écossais.

Mannois, manxois, manx
Gaelg, Gailck
Pays Île de Man
Nombre de locuteurs 50 comme langue maternelle
1 823 comme seconde langue, soit 2,3 % de la population mannoise (2011)
Typologie VSO, flexionnelle, accusative, accentuelle, à accent d'intensité
Classification par famille
Statut officiel
Langue officielle Drapeau de l'île de Man Île de Man
Régi par Coonseil ny Gaelgey
Codes de langue
IETF gv
ISO 639-1 gv
ISO 639-2 glv
ISO 639-3 glv
Étendue individuelle
Type vivante
Linguasphere 50-AAA-aj
WALS mnx
Glottolog manx1243
État de conservation
Éteinte

EXÉteinte
Menacée

CREn situation critique
SESérieusement en danger
DEEn danger
VUVulnérable
Sûre

NE Non menacée
Langue en situation critique (CR) au sens de l’Atlas des langues en danger dans le monde .

Cette langue se différencia de l'erse (gaélique écossais) vers le XVe siècle. C’est une des deux langues officielles de l'île de Man avec l'anglais. Les lois doivent être proclamées en mannois et son enseignement a été mis en place dans les écoles. Ned Maddrell, mort en 1974, fut le dernier locuteur originel de la langue, avant l'apparition de la nouvelle génération de mannophones une vingtaine d'années plus tard. Ce démarrage fut surtout possible grâce aux efforts de plusieurs enthousiastes (notamment Brian Stowell) à un niveau local. Le mannois est maintenant reconnu comme langue régionale dans le cadre du Conseil britannique-irlandais et de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. En 2011, 50 personnes le parlaient comme langue maternelle (des enfants bilingues en immersion), et environ 1 823 comme langue seconde[1], soit 134 locuteurs de plus que lors du recensement effectué en 2001.

Histoire

modifier

Le mannois étant étroitement lié à d'autres langues celtiques comme l'irlandais de l'Ulster ou le gaélique du Galloway, on estime qu'il a sans doute été introduit par des colons sur l'île de Man au Ve siècle et a émergé en tant que langue autonome après la chute du Royaume de Man et des Îles (XIIIe siècle) et avant l'installation des comtes de Derby, représentés par la famille Stanley (XIVe siècle)[2].

Description

modifier
Un locuteur du mannois enregistré à Colby, sur l'île de Man.

Le mannois est beaucoup plus proche du gaélique d’Écosse que de celui d'Irlande. Il contient à la fois des traits archaïques (par exemple des mots anciens qui ont disparu en irlandais et en écossais) et des innovations (en syntaxe, en phonétique, en morphologie). La grammaire mannoise montre de nombreuses influences anglaises qui n'apparaissent ni en irlandais ni en écossais, notamment les pronoms personnels d'objet indirect, qui suivent le verbe comme en anglais. Aucune autre langue celtique ne soutient une telle construction syntaxique.

Son orthographe, originale, est basée surtout sur les conventions orthographiques de l’anglais et du gallois, et a très peu en commun avec l’orthographe des autres langues gaéliques. Pour cette raison, le mannois est reconnu pour avoir un système orthographique moins surprenant et plus anglicisé que celui des autres langues gaéliques. Mais les irrégularités sont nombreuses et il est difficile de savoir comment on prononce plusieurs mots que l'on ne connaît pas déjà.

Caractéristiques des dialectes du mannois

modifier
 
Définition du mot mannois fys, Fockleyr ny Gaelgey, Archibald Cregeen (1774-1841), publié en 1835.

Le mannois a de fortes similitudes avec l'irlandais et le gaélique d'Écosse en ce qui concerne la phonologie, le vocabulaire et la grammaire, mais présente aussi parfois des cas très singuliers. De plus, on peut diviser le mannois en deux dialectes locaux : le mannois du Nord et le mannois du Sud[3].

Comme le gaélique d'Écosse, le mannois se caractérise par une perte partielle de palatalisation des consonnes labiales ; ainsi, alors qu'en irlandais les consonnes velarisées /pˠ bˠ fˠ w mˠ/ contrastent phonémiquement avec les /pʲ bʲ fʲ vʲ mʲ/ palatalisées, en gaélique d'Écosse et en mannois, le contraste phonémique a quasiment disparu. Ces langues utilisent simplement les formes /p b f v m/. La conséquence de cette différenciation phonémique est que, en moyen irlandais, le suffixe non accentué [əvʲ] (écrit -(a)ibh, -(a)imh en irlandais et en gaélique) a fusionné avec [əw] (-(e)abh, -(e)amh) en mannois ; les deux sont devenus [u], écrit -oo ou -u(e) en mannois. Citons notamment shassoo (« être debout » ; irlandais seasamh), credjue (« religion » ; irlandais creideamh), nealloo (« évanouissement » ; moyen irlandais primitif (i) néalaibh, litt. « dans les nuages »), et erriu (« sur vous » ; irlandais oraibh)[4].

 
Répartition des dialectes sur l'île

Comme les dialectes du Nord de l'Irlande et la plupart de ceux du gaélique d'Écosse, le mannois a modifié les groupes de consonnes historiques /kn ɡn mn tn/ en /kr ɡr mr tr/. Par exemple, les mots de moyen irlandais cnáid (« moquerie ») et mná (« femmes ») sont respectivement devenus craid et mraane en mannois[5]. L'affrication de [tʲ dʲ] en [tʃ dʒ] est également commune au mannois, au nord-irlandais et au gaélique d'Écosse[6].

De plus, comme dans les dialectes du Nord et de l'Ouest de l'Irlande et les dialectes méridionaux du gaélique d'Écosse (par exemple sur l'île d'Arran ou dans le Kintyre), la syllabe non accentuée de fin de mot [iʝ] du moyen irlandais (écrite -(a)idh et -(a)igh) a évolué en [iː] en mannois, où elle s'écrit -ee, comme dans kionnee (« acheter » ; voir irl. ceannaigh) et cullee (« agrès » ; cf. gaél. culaidh)[7].

Une autre similitude entre le mannois, l'irlandais de l'Ulster et certains dialectes du gaélique d'Écosse est que /a/ plutôt que /ə/ apparaît dans des syllabes non accentuées avant /x/ (écrit en mannois agh), par exemple jeeragh (« droit ») [ˈdʒiːrax] (irlandais díreach), cooinaghtyn (« se souvenir ») [ˈkuːnʲaxt̪ən] (gaélique cuimhneachd[8]).

Comme l'irlandais du Munster, le [vʲ] historique (écrit bh et mh) a disparu au milieu ou à la fin d'un mot en mannois, soit par un allongement compensatoire, soit par une vocalisation du genre u résultant d'une diphtongaison avec la voyelle précédente. Par exemple, les mots mannois geurey (« hiver ») [ˈɡʲeurə], [ˈɡʲuːrə] et sleityn (« montagnes ») [ˈsleːdʒən] correspondent aux irlandais geimhreadh et sléibhte (l'écriture et la prononciation en dialecte sud-irlandais sont respectivement gíre ([ˈɟiːɾʲə]) et sléte ([ˈʃlʲeːtʲə]))[9]. Un autre point commun entre le mannois et l'irlandais du Munster est le développement des diphtongues du vieil irlandais [oi ai] avant une consonne vélarisée (écrite ao en irlandais et en gaélique d'Écosse) en [eː], comme dans seyr (« libre ») [seːr] et keyll (« forêt ») [keːl] (écrits saor et caol en irlandais et prononcé de la même manière dans le Munster)[10].

Comme les variantes sud et ouest de l'irlandais et nord du gaélique d'Écosse, mais à la différence de dialectes géographiquement plus proches, comme l'irlandais d'Ulster et le gaélique d'Arran et Kintyre, le mannois connaît l'allongement des voyelles ou la diphtongaison devant les sonantes du vieil irlandais. Par exemple, cloan (« enfants ») [klɔːn], dhone (« brun ») [d̪ɔːn], eem (« beurre ») [iːbm] correspondent respectivement aux irlandais/gaélique d'Écosse clann, donn et im, qui possèdent de longues voyelles et des diphtongues en irlandais de l'ouest et du sud et dans les dialectes gaéliques des Hébrides extérieures et de Skye, ainsi en irlandais de l'ouest [klˠɑːn̪ˠ], en irlandais du sud et en écossais du nord [klˠaun̪ˠ], [d̪ˠaun̪ˠ]/[d̪ˠoun̪ˠ], [iːmʲ]/[əimʲ]), mais avec des voyelles brèves en nord-irlandais et dans les dialectes d'Arran et Kintyre, [klˠan̪ˠ], [d̪ˠon̪ˠ] et [imʲ][11].

Échantillons de textes en mannois

modifier
  • Teiy yn coghal ass as bee oo kiart dy liooar (« Arrache la chair morte, et tu iras bien »)[12].
  • T'eh cabbyl mie ta breimeragh tra t'eh jannoo yn ushtey (« C'est un bon cheval qui pète quand il pisse »)[12].

Exemples de mots en mannois

modifier
Mannois Écossais Irlandais Breton Anglais Français
Moghrey mie Madainn mhath Maidin mhaith, Dia duit ar maidin Demat, Devezh mat Good morning Bonjour (matin)
Fastyr mie Feasgar math Dia duit Demat Good afternoon Bonjour (après-midi)
Slane lhiu Beannachd leibh Slán leat Kenavo Goodbye Au revoir
Gura mie eu Tapadh leibh Go raibh maith agat Trugarez Thank you Merci
baatey bàta bád bag boat bateau
barroose bus bus karr-boutin, bus bus autobus
blaa blàth bláth bleunienn flower fleur
booa buoc'h cow vache
cabbyl each capall, beathach, each marc'h horse cheval
cashtal caisteal caisleán, caisteall kastell castle château
creg creag, carraig carraig karreg rock rocher
eeast iasg iasc pesk fish poisson
ellan, inish eilean, inis oileán, inis enez island île
gleashtan càr carr, gluaisteán karr, karr-tan car voiture
kayt cat cat kazh cat chat
moddey cù, madadh madadh, madra ki dog chien
shap bùth siopa stal shop magasin, boutique
thie taigh teach ti house maison
eean eun éan evn bird oiseau
jees dithis dís, beirt re pair paire
shynnagh sionnach sionnach, madra rua louarn fox renard

Nombres en mannois

modifier
Mannois Écossais Irlandais Breton Anglais Français
1 un/nane aon aon unan one un
2 daa/jees dhá/a dó daou two deux
3 tree trì trí tri three trois
4 kiare a ceathair/ceithir a ceathair/ceithre pevar four quatre
5 queig còig cúig pemp five cinq
6 shey sia c’hwec’h six six
7 shiaght seachd seacht seizh seven sept
8 hoght ochd ocht eizh eight huit
9 nuy naoidh naoi nav nine neuf
10 jeih deich deich dek ten dix
11 nane jeig aon deug aon déag unnek eleven onze
12 daa yeig dà... d(h)eug/a dhà dheug dhá... d(h)éag/a dó dhéag daouzek twelve douze

Principaux acteurs de la survie de la langue

modifier

Notes et références

modifier
  1. Isle of Man Census Report 2011, page 27
  2. (en) « Manx (Gaelg/Gailck) », Omniglot.com.
  3. (en) George Broderick, A Handbook of Late Spoken Manx, Tübingen, Niemeyer, 1984–86, 3 volumes éd.), I, xxvii–xxviii, p. 160.
  4. (en) Thomas F. O'Rahilly, Irish Dialects Past and Present, Dublin, Browne and Nolan, réimp. 1976, 1988, par Dublin Institute for Advanced Studies, (ISBN 978-0-901282-55-2), p. 77–82 ; Broderick, ibid., II, 152.
  5. O'Rahilly, ibid., p. 22.
  6. O'Rahilly, ibid., p. 203.
  7. O'Rahilly, ibid., p. 57.
  8. O'Rahilly, ibid., p. 110 ; (en) Kenneth Hurlstone Jackson, Contributions to the Study of Manx Phonology, Édimbourg, Nelson, , p. 55.
  9. O'Rahilly, 1932, p. 24 ; Broderick, 1984–1986, vol. 3, p. 80-83 ; Ó Sé, 2000, vol. 15, p. 120
  10. Jackson, 1955, p. 47–50 ; Ó Cuív, 1944, vol. 38, p. 91
  11. O'Rahilly, 1932, p. 51 ; Jackson, 1955, p. 57–58 ; Holmer, 1957, p.87, 88 et 106 ; 1962, p.41.
  12. a et b Proverbe mannois cité par Mark Abley (voir Bibliographie).

Voir aussi

modifier

Bibliographie

modifier
  • (en) Jennifer Kewley Draskau, Practical Manx, Liverpool University Press, Liverpool, 2008.
  • (en) Edmund Goodwin, First Lessons in Manx, éd. révisée par Robert Thompson, Yn Cheshaght Ghailckagh, Thie Ny Gaelgey, St. Judes, île de Man, 1997.
  • (en) J. J. Kneen, English-Manx Pronouncing Dictionary, éd. révisée par Robert Thompson, Yn Cheshaght Ghailckagh, Thie Ny Gaelgey, St. Judes, île de Man, 1990.
  • (en) Brian Stowell, Abby shen! Say that. Starting to Speak Manx, Manx Radio, éd. Manx Heritage, 1986.
  • (fr) Mark Abley, Parlez-vous boro ?, Éditions du Boréal, 2005 (ISBN 2-7646-0399-1), traduit de l'anglais. Chapitre 6, Sortir de la tombe : Le mannois (pp. 127-159).

Articles connexes

modifier

Liens externes

modifier